Synthèse du rapport d’information du Sénat sur les orientations et la gouvernance de la politique de santé environnementale

by in Revue 23 juin 2021

Proposée par Isabelle Roussel, présidente d’honneur de l’APPA.

Bernard Jomier a été adjoint à la mairie de Paris et a piloté en 2015 l’élaboration du plan « Paris santé environnement », à l’origine du Service parisien de santé environnementale (SPSE). Au sein du Sénat il était donc particulièrement bien placé pour conduire la rédaction d’un rapport sur le sujet. Ce rapport débouche sur sept groupes de propositions fruits d’une analyse critique développée autour de trois thématiques, gouvernance opérationnelle, territorialisation, amélioration et diffusion des connaissances. Relevant les nombreuses faiblesses, insuffisances ou incohérences des mises en œuvre institutionnelles en matière de santé environnementale, il s’attache à en proposer une restructuration d’ensemble susceptible de donner au secteur force et visibilité et d’en assurer une meilleure reconnaissance. Mais, polarisé sur cet aspect et sur l’hétérogénéité des composantes et des échelles à l’œuvre, il néglige une réflexion plus approfondie sur les difficultés inhérentes au champ et leurs implications, les évolutions du contexte, en particulier au niveau urbain, la faible place offerte aux populations par les mises en œuvre institutionnelles, le besoin d’une meilleure investigation et prise en compte de leurs perceptions et de leur compréhension, le manque d’une culture de santé publique éprouvée sur laquelle celle-ci puisse s’appuyer et d’une appréhension extensive de la dimension environnementale dans sa double configuration bio-physico-chimique et sociale en lien avec l’implication spontanée qu’y ont les individus. Autant d’éléments dépassant largement le cadre institutionnel du rapport mais pourtant essentiels, rappelés avec force par la pandémie. De telle sorte que, centré sur la complexité des mécanismes institutionnels et des incertitudes scientifiques, ce rapport est moins attentif aux registres et aux capacités individuelles, à la nécessité et aux moyens d’apporter les ressources et les outils favorisant mise en œuvre et appropriation. Ce déficit illustre une difficulté récurrente de l’approche sanitaire française à se dégager de l’emprise d’un présupposé surplombant lié à la tradition médicale et d’une reconnaissance insuffisante de la dimension du soin, du care[1] dans ses composantes éthiques, genrées et politiques.

En introduction, le rapport rappelle la définition de la santé environnementale adoptée par l’Organisation mondiale de la santé  en 1994: « la santé environnementale comprend les aspects de la santé humaine, y compris la qualité de la vie, qui sont déterminés par les facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux, psychosociaux et esthétiques de notre environnement. Elle concerne également la politique et les pratiques de gestion, de résorption, de contrôle et de prévention des facteurs environnementaux susceptibles d’affecter la santé des générations actuelles et futures. » Il rappelle également le concept « One Health » (« une seule santé ») né dans les milieux scientifiques au début des années 2000, qui associe santé humaine, santé animale et végétale et qualité des milieux de vie. La zoonose que constitue l’actuelle pandémie a redonné une forte prégnance à ce concept, plus facile à élaborer qu’à mettre en œuvre tant le rapport insiste sur les méfaits d’une gestion de la santé environnementale largement segmentée dans des structures en silos. Cet élargissement de la santé environnementale renouvelle une thématique encore trop souvent tributaire des conceptions étroites du mouvement hygiéniste du 19e siècle.

Mais les zoonoses ne sauraient cacher l’épidémie de maladies chroniques liées à la persistance de facteurs de risques environnementaux qui peuvent être, désormais, plus insidieux. D’après l’OMS, 23 % des décès et 25 % des pathologies chroniques dans le monde peuvent être attribués à des facteurs environnementaux et comportementaux (qualité de l’air, de l’eau, alimentation, modes de vie comme la consommation d’alcool ou de tabac…). Le concept d’exposome, intégré dans la loi en 2016, envisage comme un tout l’ensemble des expositions (air, eau, alimentation, environnement sonore, hygiène de vie, environnement professionnel, conditions socioéconomiques….) auxquelles un individu est soumis depuis sa conception et susceptibles d’influencer sa santé. Ces facteurs seraient, en Europe, responsables de 12 % des décès et 13 % des pathologies. La pollution de l’air extérieur entraînerait à elle seule de 48 000 à 72 000 décès prématurés par an en France. Ces pathologies non seulement ont un coût mais elles révèlent aussi de profondes inégalités sociales et environnementales, en dépit de l’article 1er de la Charte de l’environnement, adoptée en 2005, qui rappelle que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».

Le rapport insiste sur les difficultés rencontrées par la mise en œuvre de la santé environnementale, en décalage avec la prise de conscience de plus en plus forte de la population et la réalité des défis auxquels doit faire face le système de santé.

La première partie du rapport vise à définir les contours d’un pilotage proactif et d’une gouvernance opérationnelle.
Le rapport constate avec force le handicap que représente l’absence de passerelles entre ministères alors que, par définition la gestion de la santé environnementale échappe au seul Ministère en charge de la santé pour interroger de nombreux secteurs. Ces difficultés ont une origine historique importante mais qui ne sont pas évoquées dans le rapport[2]. La succession des PNSE depuis 2004 ne paraît pas avoir surmonté les nombreux handicaps rencontrés. Le rapport décrit de manière assez sévère les PNSE comme relevant « d’un foisonnement d’actions pour la plupart dépourvues de moyens définis et d’indicateurs de suivi et de résultat ». Le PNSE 4 ne semble pas apporter de meilleures solutions. Le rapport préconise l’adoption de réformes structurelles reprenant l’idée, proposée dans le PNSE 4, d’un plan « chapeau » ou « amiral » de l’ensemble des politiques publiques ayant un lien avec la santé environnementale. En outre, il encourage la création d’un délégué interministériel à la santé globale. De nombreuses structures impliquées dans le domaine de la santé environnementale existent déjà, mais la coordination de leurs travaux paraît insuffisante.

La seconde partie insiste sur l’indispensable territorialisation des politiques de santé environnementale.
Les plans régionaux, les PRSE, présentent les mêmes difficultés liées au cloisonnement des services que les plans nationaux. En outre, ils sont dotés de faibles moyens et restent inscrits dans une logique descendante sans prendre en compte les nécessités locales. Pourtant des réseaux d’acteurs locaux se mettent en place mais ils sont peu soutenus par les élus locaux qui disposent d’une expertise insuffisante sur cette thématique. La dimension santé-environnement n’est pas intégrée dans les politiques locales en dépit des efforts menés par le réseau des villes-Santé de l’OMS. En effet, à un échelon infra-régional, la santé environnementale n’est pas inscrite formellement dans les compétences des collectivités territoriales même si, avec le relai et l’appui des acteurs de terrain, elles se sont depuis longtemps saisies de ces thématiques dans le cadre de leurs prérogatives (urbanisme, aménagement de l’espace, mobilités, petite enfance, etc.) ou en développant des compétences facultatives (plan « Paris santé environnement » ou cadre de vie sain et agréable de l’Eurométropole de Strasbourg). Cependant, l’articulation entre les thèmes généraux qu’il convient de mettre en œuvre et les besoins locaux au plus près des habitants, reste insuffisante. Le rapport ne souligne pas assez combien les politiques sont également handicapées par la définition d’indicateurs, toujours délicate dans le domaine de la prévention puisque, par définition, les résultats échappent à ce champ d’intervention. Il est vrai que le domaine de la santé environnementale, toujours plurifactoriel, ne saurait relever d’une démarche dogmatique compte tenu des incertitudes qui pèsent sur les résultats des recherches scientifiques. Les PNSE ont toujours encouragé la recherche encore insuffisamment développée et trop morcelée dans ce domaine.

C’est pourquoi la troisième partie de ce rapport s’attache à l’amélioration et à la diffusion de la connaissance scientifique des liens entre environnement et santé.
La politique de santé environnementale en France est souvent pénalisée par une inertie de l’action publique tenant aux incertitudes scientifiques qui demeurent dans l’évaluation d’un risque. Le programme d’investissement d’avenir et les plans de relance pourraient contribuer à développer une recherche toujours plus pointue et novatrice car les concepts utilisés évoluent. La connaissance des effets sanitaires des conditions environnementales est encore insuffisante. La création de bases de données et la constitution de cohortes s’imposent pour servir de support aux recherches entreprises. Cette lacune concerne également les questions juridiques et philosophiques voire même psychologiques puisque cette discipline encourage souvent des changements de comportements et pose la question de la communication des résultats au grand public. Les initiatives en la matière devraient être mieux coordonnées. Peut-être convient-il de créer un institut hospitalo-universitaire (IHU) en santé environnementale.

En conclusion, ce rapport livre un constat plutôt sombre mais ouvre de nombreuses pistes pour entreprendre des réformes administratives. Mais les difficultés rencontrées par le développement de la santé environnementale en France vont bien au-delà des questions de structures. Il s’agit d’une véritable révolution culturelle que les habitants ont plus facilement intégrée que les responsables administratifs et politiques, fortement marqués par une certaine rationalité de l’action publique. Or, la santé environnementale ne s’intègre pas dans une démarche linéaire consistant à éliminer les causes d’un symptôme délétère, elle se heurte à la complexité de l’environnement qui s’appréhende aussi bien par la sensibilité, par l’expérience que par la raison. Cette démarche plus souple, plus qualitative a du mal à s’articuler avec la vision normative, promue par l’hygiénisme, et encore très prégnante à l’heure actuelle même si la solidité juridique des normes est difficile à prouver. En effet, la santé environnementale se développe selon deux axes difficiles à concilier : améliorer la qualité de vie et la santé des habitants dans un contexte bien défini et promouvoir des orientations favorables à la survie de l’humanité et à la planète. Cette difficile articulation entre les aspirations individuelles et la gestion de biens communs dans un contexte d’incertitude, représente un enjeu essentiel qui doit être porté par tous.

Retrouvez le rapport d’information du Sénat sur les orientations et la gouvernance de la politique de santé environnementale, rédigé par Bernard Jomier et Florence Lassarade : http://www.senat.fr/rap/r20-479/r20-4791.pdf


[1] S. Laugier, « Le Care et la constitution du public de la démocratie », AOC, 3 juin 2021, en ligne à l’adresse : https://aoc.media/analyse/2021/06/03/le-care-et-la-constitution-du-public-de-la-democratie/

[2] Charles L. (2014), « Environnement, santé : genèse d’un questionnement », Pollution atmosphérique, n° 222, en ligne à l’adresse : http://lodel.irevues.inist.fr/pollution-atmospherique/index.php?id=4549