« Les français et l’environnement » : vague 6 – ADEME

by in Revue 28 février 2020

Un commentaire proposé par Isabelle Roussel, présidente d’honneur de l’APPA

Ce rapport présente les résultats d’une enquête réalisée en ligne par OPINIONWAY en septembre 2019 sur un échantillon de 1059 personnes. Cette enquête est réalisée de manière identique depuis 2014 permettant ainsi une vision diachronique des phénomènes investigués : l’attitude des français vis-à-vis de la qualité de l’air, des énergies renouvelables et de l’énergie au domicile

La vision diachronique ne fait pas apparaître des variations significatives, les grandes tendances restent les mêmes alors que des écarts significatifs apparaissent lorsque les réponses sont ventilées par catégories : genre, âge, lieu de résidence, caractéristiques socio-économiques.

I. Rappel des grandes tendances

L’attitude des français vis-à-vis de la qualité de l’air

64% des français trouvent que la qualité de l’air est bonne, 72% attribuent la pollution de l’air à la circulation routière et 57% aux activités industrielles.

28% seulement des personnes interrogées se disent gênés pour eux ou pour leurs proches par la pollution de l’air intérieur (44% pour l’air extérieur). Ce sont les produits d’entretien qui sont considérés par 62 % de ceux que la qualité de l’air intérieur gêne, comme la principale source de pollution intérieure (d’où l’engouement généralisé pour le vinaigre blanc !).

Cependant, l’acceptabilité des mesures préconisées pour faire baisser la pollution automobile montre quelques éléments nouveaux : si 88 % des Français déclarent posséder au moins une voiture dans leur foyer, ce nombre diminue nettement d’année en années. De même, le retrait du diesel est affirmé : aujourd’hui 53 % des Français disent rouler au diesel et 42 % à l’essence, en 2014 65 % roulaient au diesel et 32 % à l’essence.

Certes, le souhait de voir s’améliorer l’offre de transports en commun continue à s’affirmer mais le co-voiturage et l’auto-libre-service ont sans doute suscité des désillusions tandis que l’adhésion à la circulation différenciée à partir de la vignette Crit’air augmente.

34% des habitants utilisent le chauffage au bois mais son utilisation comme mode de chauffage principal est en baisse. Cependant, 91% des Français utilisant le chauffage au bois prennent au moins une précaution pour éviter de participer à la pollution de l’air. 57% des français s’étonnent d’apprendre que l’impact du chauffage au bois non performant sur la qualité de l’air est important.

L’attitude des français vis-à-vis des énergies renouvelables et de l’énergie au domicile

La qualité comparée des énergies est représentée par des graphiques en radar peu lisibles et peu explicités. L’énergie nucléaire est considérée comme la plus performante mais peu efficace pour lutter contre l’effet de serre ! L’énergie solaire est très favorablement perçue et son choix est préconisé pour l’avenir.

94% des français sont favorables au développement des ENR mais seulement 61% considèrent qu’elles permettent de lutter contre le changement climatique tandis que la reconnaissance d’autres bénéfices a tendance à s’éroder. Les enquêtés sont moins critiques sur l’importance de l’investissement (50%) ou la faiblesse du rendement mais découvrent d’autres inconvénients : l’intermittence et les matériaux utilisés pour leur fabrication

Deux tiers des Français seraient prêts à payer plus cher pour passer d’une énergie classique à une énergie renouvelable (64 %). C’est un taux important et étonnamment stable pour une année marquée par le mouvement des Gilets Jaunes et son rejet de la taxe sur les produits énergétiques TICPE (qui devait entrainer l’augmentation du prix des carburants).

Si 86% des français sont favorables à l’augmentation de la production d’énergie renouvelable, ce chiffre est en baisse et 12% des personnes interrogées sont tout à fait défavorables (9% en 2014) et seulement 57% d’entre eux pourraient placer une partie de leur épargne dans ces projets dont 28% feraient ce geste pour la planète.

L’acceptation de l’installation d’une unité de production d’énergie renouvelable à proximité de leur domicile est plus forte pour le solaire que pour l’éolien qui ne rencontre toutefois que 28% d’oppositions systématiques, surtout en raison du bruit. Les installations de méthanisation sont mieux acceptées avec 30% d’opposants à cause des odeurs.

21% des Français interrogés ont un projet d’installation énergétique en route ; ce pourcentage est en hausse et ces projets concernent, pour 36% d’entre eux, le photovoltaïque. Les freins à l’investissement dans les ENR tiennent avant tout au coût de l’investissement (41 %).

Les Français, confrontés depuis une dizaine d’année à la hausse de leur facture énergétique et chaque été́ et chaque hiver à la trop faible capacité́ de leur logement à conserver une température convenable, sont nombreux à̀ juger nécessaire la réalisation de travaux de rénovation énergétique (59 %), un score très stable depuis 5 ans. A défaut de pouvoir faire des travaux ou en attendant d’en faire, au quotidien, les Français mettent en place des pratiques vertueuses pour réduire leur consommation d’énergie. 94 % déclarent avoir modifié́ leurs habitudes en ce sens mais le choix des gestes effectués conserve les mêmes proportions.

Les motivations à réduire sa consommation d’énergie sont de plus en plus dispersées. 26 % le font pour lutter contre le gaspillage, 26 % pour compenser l’augmentation de la facture énergétique, 22 % parce qu’ils y sont contraints par leur situation financière et 21 % pour faire un geste pour la planète.

II. Les réponses ventilées par catégories

Plusieurs catégories ont été distinguées :

-Le sexe hommes/femmes

-L’âge

-Le lieu d’habitation

-Le niveau socio-économique et culturel

Le sexe hommes/femmes

La distinction n’a pas été faite pour tous les items mais les femmes s’inquiètent plus sur la qualité de l’air, 42 % la jugent mauvaise contre 28 % des hommes.

En revanche, le domaine de l’énergie n’est nettement moins approprié par les femmes dont 34% sont incapables de citer spontanément le nom des énergies renouvelables contre 19 % des hommes. Dans l’ensemble, elles sont donc très méfiantes vis-à-vis de ces techniques qu’elles connaissent mal.

Un profil socio-économique favorable à ces différents types d’installations se démarque nettement : elles intéressent les hommes (à l’exception des installations éoliennes et solaires) les plus diplômés, les CSP+ et le plus souvent les foyers les plus aisés qui sont davantage prêts à voir s’installer un de ces modes de production énergétique près de chez eux.

Ce même profil caractérise ceux qui sont les plus susceptibles de monter un projet d’installation énergétique :

·  Les hommes (25 % contre 18 % des femmes).

·  Les moins de 50 ans (26 % contre 17 % des 50 ans et plus).

·  Les CSP+ (33 % contre 20 % des CSP-).

·  Les sympathisants des partis de gauche et d’EELV (respectivement 30 % et 37 %, contre 23 % pour les sympathisants des partis de droite et 19 % pour ceux du Rassemblement national).

L’âge représente une variable explicative majeure

Sur la qualité de l’air : un clivage semble se creuser entre les plus âgés nettement moins critiques que le reste de la population vis-à-vis de la qualité́ de l’air : seules 25 % des personnes âgées de 65 ans et plus jugent la qualité́ de l’air en France mauvaise (contre 35 % au global) ; ce taux chute à 17 % lorsqu’il est question de la qualité́ de l’air du lieu où l’on vit (contre 26 % au global).

Les plus jeunes et leurs proches apparaissent davantage gênés par la pollution : 56 % des 18-24 ans et 50 % des moins de 35 ans contre 42 % des 35 ans et plus.

40 % des 18-24 ans se sentent davantage touchés par la qualité de l’air intérieur contre 23 % des personnes âgées de 50 ans ou plus. Les plus inquiets vis-à-vis de leur logement sont les plus jeunes (53 % des moins de 35 ans contre 36 % des 65 ans et plus). 64 % parmi les parents d’enfants de moins de 18 ans sont touchés par la pollution des ERP recevant de jeunes enfants contre 57% en moyenne.

Se déplacer en déchèterie pour se débarrasser des déchets verts est une pratique davantage répandue chez les plus de 35 ans (54 % contre 41 % des moins de 35 ans).

Les personnes âgées de 65 ans et plus ayant un chauffage au bois sont nettement plus nombreuses à̀ se déclarer précautionneuses vis-à-vis de la qualité́ de l’entretien de leur appareil (70 %), de la durée de séchage du bois (63 %) et du choix de l’essence du bois (40 %), en revanche elles sont beaucoup moins enclines à̀ investir dans un matériel labellisé (15 %).

Ainsi, on observe un fossé générationnel entre des jeunes inquiets, informés mais relativement passifs et des seniors sereins mais davantage précautionneux. Les plus de 65 ans, en revanche, sont nettement plus nombreux à agir au quotidien pour améliorer la qualité de l’air dans le leur logement, réduire leur consommation d’énergie ou leurs émissions de polluants lorsqu’ils se chauffent au bois.

Sur les énergies renouvelables, le clivage générationnel est élevé mais s’explique par l’intérêt croissant avec l’âge des individus pour leur logement et pour leur facture énergétique. Donc, les jeunes se montrent moins pro-actifs et plébiscitent moins ardemment le développement des ENR qu’ils connaissent moins bien et voient d’un moins bon œil que leurs aînés. 36 % des moins de 35 ans citent avec difficulté les énergies renouvelables contre 14 % des 65 ans et plus. Les personnes âgées de 50 ans ou plus, sont nettement plus « connaisseuses ».

16 % des moins de 25 ans et 10 % des moins de 35 ans sont défavorables aux énergies renouvelables contre 4 % des plus de 35 ans. Pourtant, ce sont les jeunes de moins de 35 ans, qui sont davantage motivés pour installer des ENR même à un prix plus élevé (72 % contre 62 % des plus de 35 ans avec en moyenne une augmentation de 15,3 % de leur facture). Cette constatation rejoint celle sur la réticence croissante avec l’âge pour procéder à des investissements dont le rendement est très faible à court terme. Les plus jeunes se montrent plus enclins à entrevoir l’intérêt économique à long terme d’une installation à domicile : rentabilité de l’investissement, valeur du bien immobilier renforcée (respectivement 21 % et 19 % des moins de 35 ans contre 14 % des personnes âgées de 35 ans et plus). Ces aspirations des plus jeunes sont freinées principalement par la fréquence de leur statut de locataire ou leur intention de quitter trop rapidement leur logement actuel pour que des travaux de maîtrise de l’énergie « valent le coup ». Les plus âgés, a contrario, sont plus attirés par la réduction immédiate de la facture énergétique (59 % des 35 ans et plus contre 51 % des moins de 35 ans) et le fait d’être autonome (53 % contre 46 %).  Ce sont eux qui sont sensibles au gaspillage (33 % des 65 ans et plus face à̀ 20 % des moins de 35 ans).

Paradoxalement, ce sont les Français âgés de 50 ans et plus, pourtant parmi les plus enthousiastes vis-à-vis du développement des ENR ou de leurs avantages, qui sont aussi plus critiques notamment vis-à-vis de l’intermittence, du faible rendement et de la pollution qu’elles génèrent (à la fabrication/installation, sur la biodiversité́ et les paysages).

Le rêve de l’autonomie énergétique : les plus enthousiastes se comptent parmi les personnes âgées entre 35 et 65 ans (37 % seraient intéressés de pouvoir couvrir 100 % de leurs besoins), les habitants de communes rurales (36 %) et les actifs (37 %). Les personnes se sentant proches d’EELV sont particulièrement motivées par cette perspective (49 %).

Ainsi, les moins de 35 ans sont marqués par une contradiction forte entre leurs craintes, leurs actions et leurs intentions en matière d’ENR. Écartelés entre l’envie d’agir pour la planète (davantage représenté chez les plus jeunes : 35 % des moins de 25 ans face à̀ 18 % des 60 ans et plus), et leur faible capacité à prendre des engagements dans le domaine énergétique.

Les contrastes observés en fonction des lieux d’habitation

La qualité de l’air affecte surtout les parisiens et les habitants des grandes agglomérations. 73 % des Parisiens et plus globalement 54 % des habitants d’agglomérations de plus de 100 000 habitants se disent gênés par la pollution (contre 34 %des habitants de communes rurales). Plus la taille de l’agglomération diminue moins ces sources de pollutions sont jugées préoccupantes. Les populations les plus sereines vis-à-vis de la pollution sont les personnes habitant dans des communes de moins de 20 000 habitants (12 %).

La hiérarchisation des sources de pollution est différente : pour les communes rurales, les activités agricoles (48 %) prennent le dessus sur les activités industrielles (37 %). 78 % des habitants de l’agglomération parisienne contre 54 % des habitants de communes rurales s’inquiètent de la pollution dans les transports.

Les Parisiens (58 %) sont conscients de la pollution intérieure contre moins de 20 % des habitants de communes comptant moins de 20 000 habitants. Ils sont inquiets vis-à-vis de la qualité de l’air de leur logement (72 %, contre 35 % en commune rurale) surtout s’ils habitent dans un appartement (53 % contre 42 % de ceux qui habitent en maison) ou s’ils sont locataires (53 % contre 42 % des propriétaires).

Les habitants de communes rurales sont parmi les plus nombreux à se chauffer principalement au bois (respectivement 18 % et 19 % contre 10 % au global).

Vis-à-vis des énergies renouvelables, la confiance que les français leur accorde varie avec la taille de la commune. Plus la taille de la commune dans laquelle ils habitent est grande, plus les Français sont confiants dans la capacité des ENR à couvrir les besoins, tous secteurs confondus (écarts entre 10 et 17 points entre les habitants de la région parisienne et ceux des communes rurales).

Le fait de ne pas être propriétaire de son logement demeure la principale raison pour ne pas envisager d’investir dans des travaux pour isoler les maisons ou opter pour d’autres sources d’énergie (35 %).

Revenu et niveau de culture

 Les populations fragiles sur le plan économique, ayant un niveau de revenus et/ou de diplôme faible (15 % des Français appartenant aux foyers les plus modestes, 13 % des personnes ayant un niveau de diplôme inferieur au bac), répondent qu’aucune source de pollution n’est préoccupante près de chez eux contre 9% en moyenne.

Les CSP+ se disent davantage gênés par la pollution atmosphérique que les CSP- (52 % contre 42 %) et plus le niveau de diplôme est élevé́ plus la gêne, est présente (51 % des plus diplômés contre 34 % des moins diplômés). Mais est-ce parce que les CSP+ habitent dans de plus grandes villes ?

52 % des foyers les plus modestes sont inquiets pour la qualité de l’air de leur logement mais ils sont nettement moins nombreux à mettre en pratique des mesures quotidiennes préventives. Les pratiques pour lesquelles les écarts sont les plus importants entre les répondants appartenant au premier quartile et ceux appartenant au dernier quartile sont : l’aération du domicile (12 points), l’évacuation de l’humidité́ (13 points), l’utilisation limitée de diffuseurs (18 points) et l’entretien régulier des appareils de chauffage (14 points).

Attitude vis-à-vis des ENR. La connaissance des ENR et l’adhésion à leur développement sont fortement connotées au niveau de diplôme et au niveau de revenu : entre 6 et 30 points d’écart entre les foyers les moins aisés et les foyers les plus aisés plus « connaisseurs » et entre 5 et 32 points d’écart entre les moins diplômés et les plus diplômés, eux aussi, plus « connaisseurs ».

63 % des CSP+ et 62 % des foyers les plus riches sont très favorables à leur développement contre 48 % des classes populaires et 40 % des foyers les plus pauvres. 65 % des détenteurs d’un master y sont très favorables contre 45 % des personnes n’ayant pas le baccalauréat.

En revanche, les plus sceptiques se trouvent davantage dans les foyers les plus aisés (53 % contre 36 %), chez les plus diplômés (51 % contre 43 % chez les moins diplômés).

Les Français âgés de 50 ans et plus et les populations les plus robustes sur le plan écono- mique (les plus diplômés, ceux ayant les revenus les plus confortables), qui étaient pourtant parmi les plus enthousiastes vis-à-vis du développement des ENR ou de leurs avantages sont aussi plus critiques notamment vis-à-vis de l’intermittence, du faible rendement et de la pollution qu’elles génèrent (à la fabrication/installation, sur la biodiversité́ et les paysages)

Les populations les plus robustes sur le plan économique se montrent aussi plus disposées à dépenser plus pour une énergie plus propre : 76 % des personnes les plus diplômés (contre 58 % des personnes les moins diplômés), 75 % des CSP+ (contre 67 % des CSP-). Ce sont aussi les foyers les plus aisés (38 % contre 19 % pour les foyers les moins aisés), les plus diplômés (31 % contre 15 % des moins diplômés) et bien entendu les partisans d’EELV (39 %) qui sont les plus sensibles au gaspillage.

Le souhait d’une production locale d’énergie renouvelable même à un coût un peu plus élevé bénéficie toujours d’un soutien important. Les plus enthousiastes se comptent là encore parmi les populations les plus robustes sur le plan économique (41 % des plus diplômés pensent que cela serait très souhaitable, contre 21 % des moins diplômés ; 39 % des CSP+ pensent que ce serait souhaitable, face à̀ 21 % des CSP-)

Conclusion

Les attitudes des Français vis à vis de l’environnement sont assez stables mais très dépendantes du contexte géographique ou socio-économique dans lequel ils se trouvent.  Par exemple, la pollution atmosphérique est considérée comme un problème urbain.

Les résultats du questionnaire ne permettent pas d’explorer dans le détail la question du genre si ce n’est la sensibilité des femmes à la qualité de l’air et leur faible investissement dans les problèmes énergétiques.

Le niveau de connaissance plus élevé des populations plus aisées sur la qualité de l’air brouille la connaissance de leur niveau d’exposition réel car on pourrait croire que ce sont les populations les plus modestes qui habitent un logement plus exigu et donc potentiellement plus pollué.

Les ENR ne sont pas du tout perçues comme un moyen de lutter contre la pollution de l’air et même le lien avec la maîtrise de l’effet de serre semble ténu. La technicité de ces modes de production énergétique semble séduire les hommes alors que l’intérêt des femmes, pourtant plus sensibles à la pollution de l’air, semble limité.

Les plus jeunes générations semblent très sensibilisées aux questions environnementales mais encore peu investies dans le monde économique, elles ne peuvent pas peser fortement dans les choix énergétiques.

Les résultats présentés soulignent de nombreux paradoxes montrant ainsi la complexité des politiques à mettre en œuvre et leur incapacité à susciter des adhésions unanimes.


ADEME/ OpinionWay. 2018/11. Les Français et l’environnement–Vague 6. 48 pages. Cet ouvrage est disponible en ligne : www.ademe.fr/mediatheque