Compte-rendu du 32ème colloque de l’Association Internationale de Climatologie (AIC)

by in Revue 1 octobre 2019

Proposé par Régis Juvanon du Vachat, membre du comité de rédaction de la revue Pollution Atmosphérique.

Le 32ème colloque international de l’AIC s’est déroulé à l’Université Aristote de Thessalonique du 29 au 31 mai 2019 sur le thème « Le changement climatique, la variabilité et les risques climatiques.» Il comportait 96 communications dont 55 posters et 3 conférences invitées. Ces communications se répartissent dans les thèmes suivants : changement climatique (11 communications), impacts (9), risques climatiques (28), variabilité du climat (6), climatologie urbaine et pollution (8), modélisation et télédétection (9), analyse climatique (16), climatologie appliquée (9). L’origine des participants et des communications est la suivante, hors Europe : Afrique de l’Ouest (20, dont 9 pour le Bénin), Brésil (10), Maroc (8), Afrique tropicale (4), Madagascar (2), Nouvelle Zélande (2). Pour l’Europe, la répartition est la suivante : France (16), Grèce (14), Roumanie (6), Espagne (1) et Italie (1).  Un nombre important de communications viennent de l’Afrique francophone (26) et du Maghreb (20). La plupart des grecs s’exprimaient en anglais, langue autorisée par l’Association depuis l’an dernier.

Voici d’abord les auteurs invités et leur communication : J. Guiot (chercheur au CEREGE, Aix-en-Provence) présente « Le bassin méditerranéen façonné par des changements climatiques anciens, amplifiés par une anthropisation récente ».  Le climat méditerranéen est caractérisé par une grande variabilité. Sa spécificité remonte à plusieurs milliers d’années : alors qu’il y a 6000 ans, le reste de l’hémisphère nord a connu un optimum chaud, la région méditerranéenne était plus froide et plus humide qu’actuellement. Sa grande variabilité était surtout le fait des précipitations avec des épisodes secs qui peuvent être corrélés avec les déclins de sociétés du Proche et Moyen Orient. Actuellement cette région se réchauffe 20% plus vite que le globe, avec de nombreux impacts : canicules, sécheresses, perte de biodiversité, feux de forêts, rendements agricoles, ressources en eau. La situation va s’aggraver si le réchauffement global dépasse 2°C (inconnu de tout l’holocène), avec des risques forts d’irréversibilité. C’est l’objectif du réseau MedECC (www.medecc.fr), avec 600 chercheurs d’établir l’état de la région Méditerranéenne face à ces changements globaux et de rendre l’information accessible au public et aux décideurs, avec un rapport spécial en 2020.

C. Zerefos (professeur d’Université, Thessalonique) présente une vision de l’environnement global, présent et futur, « Living in the anthropocene ». Son exposé est illustré par la langue et la littérature grecque. D’ailleurs « anthropocène » est l’ère géologique façonnée par l’homme (anthropos) qu’il appelle : le nouvel âge de l’homme. Le mot « climat » du grec « Clinein » fait allusion à l’inclinaison du soleil par rapport à la terre, à l’origine des saisons. Enfin Aristote au 5ème siècle avant notre ère distinguait sept climats différents dans son ouvrage « Les Météorologiques ». Zerefos considère comme évidente la déstabilisation du climat, l’augmentation des évènements extrêmes dans un climat plus chaud, avec de sévères conséquences sur les humains et les écosystèmes. La canicule européenne de 2003, avec ses milliers de morts deviendra normale en 2040 et fraîche en 2060. Le nombre de jours avec une Tmax d’été dépassant 41°C  au siècle passé a été multiplié par 4 au début du 21ème siècle, passant de 3 à 13 jours. Il présente aussi l’évolution des précipitations en Méditer-ranée et des feux de forêt en Europe. L’Anthropocène se caractérise par l’extension des zones de faibles ressources en eau et nourriture, qui pousse les immigrants climatiques à quitter l’Afrique et l’Amérique Latine. La hausse du niveau des mers et les catastrophes hydro-météorologiques sont responsables de pertes économiques sur une décade, allant de 10 milliards $ (1960-1970) à 1000 milliards $ (2010-2020), alors que le nombre des victimes diminue, grâce aux mesures de prévention.

K. Lagouvardos a présenté « Le réseau des stations météorologiques de l’Observatoire National d’Athènes pour la surveillance des conditions météorologiques et climatiques en Grèce ». Ce réseau est développé pour répondre aux besoins : de la communauté scientifique (institutions universitaires et de recherche), des différents secteurs de l’économie (agriculture, pêche, construction, assurances, tourisme, etc) et d’amélioration de la qualité de vie des citoyens. Il a démarré en 2006 et en Juin 2019, 394 stations sont en opération. Les données sont transmises toutes les 10 minutes. Les stations sont installées près des mairies, des bâtiments publics, des écoles et, dans certains cas, sont hébergées par des citoyens. Les météorologues amateurs jouent un rôle important pour le bon fonctionnement du réseau. Les données sont disponibles  en ligne sur internet à l’adresse suivante : (www.meteo.gr/Gmap.cfm) et circulent sur le site européen d’échange de données météorologiques (www.meteonetwork.it). Avec les observations du réseau on peut surveiller en temps réel  les événements météorologiques, valider les prévisions, faire de la climatologie, enfin améliorer la compréhension des phénomènes météorologiques violents et étudier leur impact.

Voici un résumé des principales communications, avec indication du premier auteur.

La négociation internationale sur le changement climatique après l’Accord de Paris (2015) est analysée avec des aspects positifs (accord de Kigali sur les hydrofluorocarbures ; accord de l’Aviation Civile Internationale sur les émissions de l’aviation) et négatifs (retrait des Etats-Unis). Le pacte Finance-Climat (Jouzel, Larrouturou, 2018) représente  une voie de salut pour l’Europe (R. Juvanon du Vachat, Paris). I. Roussel (Ass. Prévention de la Pollution Atmosphérique) privilégie les acteurs locaux (villes) au détriment des états impuissants à assurer une dynamique durable dans les négociations ! Elle donne l’exemple des Plans Climat Air Energie territoriaux et complète avec l’aspect santé.

Des études agroclimatiques suscitent un vif intérêt. F. Beauvais (Caen) s’intéresse au cycle du blé tendre et à ses modifications à l’horizon 2100 : avancée des stades phénologiques, mais nouveaux risques dûs à la précocité. V. Dubreuil (Rennes) étudie la floraison des pommiers dans le Val de Rance en Bretagne, grâce à un fichier d’observations phénologiques depuis les années 1990. Il fait des projections dans le futur pour les différentes variétés de pommes. Pour la culture de l’olivier en Andalousie (T. Pinna), les ressources en eau pourraient diminuer notablement, avec 20% de baisse des régimes hydrologiques, et impacter fortement ce secteur économique, qui représente 80 % de la production d’olive espagnole. Dans la commune de Tchaourou (6900 Km2) au Bénin, les agriculteurs adoptent des stratégies d’adaptation : cultures à cycle court, semis multiple, pour faire face au changement climatique qui menace la sécurité alimentaire (L. Adetona, Parakou). S. H. Totin (Lomé) évalue la vulnérabilité des cultures (maïs, riz, igname, niébé, manioc) au Togo face aux risques qu’occasionne le changement climatique (mauvaise récolte, stress hydrique ou thermique, resemis).

H. Quénol (Rennes) plaide pour des projections climatiques à haute résolution, avec descente d’échelle, permettant une carte de température à 25 m de résolution, pour étudier l’adaptation de la vigne dans les territoires. Il faut adapter les scénarios régionaux aux particularités climatiques locales du vignoble et, pour une meilleure adaptation, intégrer les modèles de croissance de la vigne avec les pratiques culturales (programme Life-Adviclim). Enfin le risque de gel sur le vignoble en Bourgogne-Franche-Comté, avec un débourrement plus précoce et un plant vulnérable pourrait se maintenir, voire augmenter dans le futur (C. Gavrilescu, Dijon). Le gel dans la vallée de l’Adour (F. Avila), étudié à l’aide de quatre stations bien disposées par rapport au relief, est en nette diminution depuis 2013 (32 jours par an au lieu de 45 pour la période 1981-2010), avec toujours des effets locaux.

R. Bouaziz (Sfax, Tunisie) évalue les conséquences de la hausse du niveau de la mer dans l’archipel de Kerkennah (Golfe de Gabès) au patrimoine écologique et culturel indéniable : érosion marine, salinisation et même disparition de certains îlots.

S. Rome (Grenoble) analyse durée et fréquence des vagues de chaleur printanières (avril à juin) en Afrique de l’Ouest de 1973 à 2014 avec cinq indices différents et les observations journalières de la base GSOD (Global Surface Summary Of the Day) dans 145 stations. Ces épisodes sont rares et courts près du littoral, plus longs au centre du Sahel, les indices allant de 3 % au Cap Vert à 30% au Sahel. Ce travail vise à produire un système opérationnel d’alerte aux canicules au Sahel (programme ACASIS).

Les changements thermiques de la circulation atmosphérique en Roumanie (I. Holobaca) sont analysés entre les périodes 1951-1980 et 1981-2010 avec la classification de Lamb. Le réchauffement récent en Roumanie est corrélé au temps anticyclonique (A), plus chaud et plus fréquent en été.

En météorologie urbaine, G. Da Rocha (Curitiba) étudie l’îlot de chaleur urbain (ICU) à Florianopolis (Brésil) avec cinq stations bien disposées dans la ville (relief, centre ville, littoral) en août-septembre 2018, démontrant le rôle important de l’emplacement des stations. S. Charfi (Sfax) analyse l’architecture traditionnelle de la « Médina » à Sfax et à Tunis, qui permet de créer des îlots de fraicheur et souligne les particularités locales de ces deux villes. Y. Richard (Dijon) présente une technique originale de météorologie urbaine, qui fait une classification des tissus urbains en différents types, les « Local climate zones », qu’il applique à la canicule de 2018 à Dijon. D. Rousseau (CSM) essaie de séparer l’influence de l’ICU et du réchauffement climatique dans la longue série de température de Paris-Montsouris (1681-2017). L’ICU est prépondérant jusqu’en 1970, et à partir de 1988, c’est le réchauffement climatique qui l’emporte. M. Madelin (Paris-Diderot) analyse l’ICU avec les données participatives du réseau Netatmo, où 10.000 stations mesurent la température dans un rayon de 50 Km du centre de Paris, depuis l’été 2017. Après une sélection sévère des données, elle met en évidence l’ICU nocturne conforme aux données satellitaires MODIS.

En Climatologie appliquée, J.-M.Fallot (Lausanne) évalue la technique traditionnelle des « Jessour »dans le Sud Tunisien, qui permet sur une pente, de retenir l’eau lors des épisodes pluvieux rares et violents dans la région. Les mesures faites pendant une année sur deux sites (avec ou sans Jessour) et trois épisodes pluvieux significatifs confirment l’intérêt de cette technique ancestrale. De fortes précipitations peuvent survenir dans le Sahara Tunisien au climat très aride, mais aucune tendance n’est observée sur de longues séries (110 ans, 3 stations). Des situations de retour d’Est sont à l’origine de ces épisodes violents (Z. Hlaoui, Tunis), comme lors de l’épisode pluvieux du 17 octobre 2018 dans le Centre-Ouest de la Tunisie (M. Al Atrach, Tunis).

Une étude fine des précipitations en Nouvelle-Zélande a été présentée par H. Kutiel (Haifa, Israel) à partir de 19 stations d’observation (9 au Nord et 10 au Sud) et environ 50 ans de données, qui permet d’analyser la variabilité spatiale et temporelle des précipitations. Une méthode de spatialisation des précipitations journalières (Prescilia) a été développée par Météo-France. Elle s’avère meilleure qu’Aurelhy dans le cas de la réduction des postes avec l’automatisation du réseau climatologique d’état (J.-M. Soubeyroux, Météo-France).

En conclusion l’ensemble du congrès donne une image très diversifiée des effets du changement climatique en Europe, en Afrique et au Brésil, mais aussi de stratégies d’adaptation déjà mises en œuvre. L’ensemble des communications est sur le site de l’AIC : www.climato.be/aic/. L’an prochain le colloque de l’AIC se tiendra à Rennes du 1er au 4 juillet 2020, sur le thème « Changement climatique et territoires ».