Compte-rendu du colloque sur l’adaptation au changement climatique « S’adapter pour (sur)vivre », organisé par le Comité 21

by in Revue 16 mars 2020

Un compte-rendu proposé par Isabelle Roussel (Présidente d’honneur de l’APPA), avec la contribution de Lionel Charles (Membre de l’APPA)

Le 26 février 2020, le Comité 21 a consacré une réunion de travail au thème de l’adaptation au changement climatique intitulée : « s’adapter pour survivre ».

Le Comité 21, mobilisé sur cette problématique majeure, avait déjà contribué aux travaux de Global Chance sur ce sujet. Cette journée était l’occasion de présenter les propositions élaborées par ce Comité pour « une transformation accélérée des territoires et des organisations ». Propositions qui interviennent en écho au rapport sur l’adaptation de la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050 par les sénateurs Ronan Dantec et Jean-Yves Roux, rendu public en mai 2019.  Le Comité 21 soutient la proposition de mise en chantier d’une loi cadre qui permettrait de porter le débat sur l’adaptation au niveau national et parlementaire.

Tout au long de cette séance de travail, l’accent a été mis sur la nécessité d’accorder plus d’importance à l’adaptation qui, à tort, a souvent été effacée par l’atténuation sur laquelle l’attention des politiques publiques s’est longtemps portée préférentiellement. La nécessité de braquer les projecteurs sur l’urgence de l’adaptation a été confirmée par la Ministre E. Borne qui a ouvert la séance.

Dès l’introduction, Bettina Laville, Présidente du Comité 21 ainsi que Sarah Schönfeld, sa directrice, insistent sur les difficultés auxquelles se heurtent le processus d’adaptation alors que chacun reconnaît son importance et son urgence tant les effets du changement climatique sont objectivables et implacables. En effet, l’adaptation est une problématique complexe puisqu’elle combine les facteurs climatiques avec les données sociétales. Le principal écueil est de cloisonner les enjeux et les acteurs. Pour l’éviter, il est indispensable d’agir collectivement et d’intégrer la dynamique sociale dans les stratégies d’adaptation de façon à surmonter la tentation de la rivalité, conformément aux objectifs partenariaux préconisés par l’ODD 17. Saadi Lahlou, spécialiste de l’étude des comportements, a exposé les résultats d’une expérience concernant des rats soumis à un stress électrique. Ceux-ci demeurent en bonne forme s’ils peuvent gérer ce stress collectivement.

La dynamique collective est à envisager à l’échelle locale, indispensable pour s’assurer que les stratégies intègrent bien les spécificités socio-économiques des territoires, au même plan que leurs caractéristiques géographiques. L’adaptation est un enjeu général qui ne peut être résolu que par des installations locales contrairement à l’atténuation qui relève d’instances globales.

Division du travail et multiplication des leviers

Thibaud Griessinger, docteur en sciences cognitives, met en garde contre deux fausses croyances : l’une étant celle de la conscience de l’insuffisance du savoir pour se lancer dans l’action, l’autre de considérer l’adaptation comme une série d’actions menées au fil de l’eau sans stratégie préalable.

Outre les nombreuses difficultés institutionnelles auxquelles se heurtent les tentatives d’adaptation, Annamaria Lammel, psychologue, souligne la vulnérabilité cognitive des populations occidentales qui ont bien du mal à comprendre, à l’aide d’une pensée linéaire, les subtilités du système climatique auquel l’homme appartient. La peur et l’angoisse de la société contemporaine proviennent de son incapacité à vivre en harmonie avec la nature et le climat ; les sociétés susceptibles de vivre dans ces conditions se situent en dehors du confort apporté par la modernité et sont donc particulièrement vulnérables. La culture de l’adaptation de l’homme moderne est celle d’une prévention, d’une protection contre le climat et ses aléas. Les digues ont longtemps été le meilleur rempart apporté contre les fluctuations des eaux marines dont il faudrait respecter les divagations ! Frédérique Tuffnel, députée, montre, à travers le regard porté sur les zones humides, que la recherche du bénéfice écosystémique a remplacé une vision miasmatique avec la prise en compte du bien commun que l’on observe dans quelques exemples d’aménagements réussis : en Camargue, à Angers…

Magali Reghezza-Zitt, membre du conseil du climat pour l’adaptation, a souligné la brutalité des changements de tous ordres qui affectent les territoires. Il ne faudrait pas que les efforts portés sur la mitigation avec des résultats insuffisants ne se reportent sur l’adaptation, impliquant des coûts de plus en plus importants.

L’adaptation demande un effort d’anticipation (« Ne pas prévoir c’est déjà gémir », disait  Léonard de Vinci) et de créativité car les exemples d’hier ne peuvent pas servir de modèle pour demain. Or, les débats citoyens, trop souvent gérés en urgence, ont tendance à mettre de côté les phénomènes invisibles, lents et peu spectaculaires et à accorder la priorité aux phénomènes extrêmes qui eux, attirent l’attention et mobilisent les affects. La perception du changement climatique est plus difficile pour les urbains qui, majoritaires, ont perdu le contact avec la nature. D’où l’importance de la connaissance, des réflexions et des études qui, à l’image d’Acclimaterra, présentée par H. Le Treut, apportent des investigations objectives à un débat qui ne peut être uniquement fondé sur les affects. Malheureusement, les décisions n’avancent souvent que dans le cadre de catastrophes et, dans ce contexte, elles peuvent ne pas être adaptées. Ainsi à la Nouvelle Orléans, après le passage du cyclone Katrina, les décisions prises lors de la reconstruction de la ville, à savoir de relever les digues, ne sont pas durables. D’où l’ambivalence de l’adaptation : « lutter contre ou vivre avec ».

Les efforts demandés pour l’adaptation doivent être négociés et acceptés afin de ne pas laisser la place au sentiment d’injustice. C’est l’échelle locale qui est la plus pertinente pour gérer les conflits. Blandine Delporte, en charge du développement durable au sein du département de la Nièvre, a présenté les difficultés rencontrées par une collectivité rurale et pauvre en posant la question de l’adhésion des populations précaires, faiblement émettrices de GES, à des programmes environnementaux. La ministre, E. Borne, a insisté sur le rôle de l’Agence de cohésion des territoires dans le portage de programmes d’accompagnement de manière à rendre acceptables par tous, les actions environnementales.

Pierre Victoria, directeur développement durable de Veolia, présente son métier comme cherchant la création de boucles d’économie pour créer une circularité entre les besoins et les ressources. L’industriel est intégré au cœur du territoire de l’eau et, avec toutes les parties-prenantes, il doit contribuer à gérer les conflits pour éviter la guerre de l’eau. Rémi Bussac d’EDF et Michaël Gonzva de Vinci ont présenté l’intégration d’une stratégie climatique,  davantage orientée vers l’énergie ou vers la ville au sein de leur entreprise qui trouve des opportunités dans l’option pour une croissance verte.

Selon Christian Clot, fondateur de CEO, institut de l’adaptation, la notion d’extrême n’est pas dépendante du système mais correspond à la désadéquation de l’humain avec son milieu. Une autre difficulté de l’adaptation réside dans l’accélération actuelle du changement qui sollicite des réponses rapides et concentrées dans le temps. Or, l’anticipation est facilitée par la stabilité mais aussi par la capacité d’imagination. Les décisions doivent être collectives et intégrées dans les stratégies des entreprises ou des collectivités.

Bien sûr, ces réflexions doivent être resituées dans le contexte européen du « Green deal » dans lequel la place des associations et les actions entreprises sont encore bien faibles. Néanmoins, la volonté politique est manifeste et les associations auront à cœur de veiller à ce que l’adaptation ne soit pas le parent pauvre de cette nouvelle politique. Christophe Buffet, chef de projet à l’AFD, a ouvert la question de l’adaptation aux pays en voies de développement auxquels, historiquement, l’adaptation était dévolue tandis que l’atténuation ne concernait que les pays responsables des émissions accumulées au fil des ans. A l’heure actuelle, la complémentarité entre l’atténuation et l’adaptation est totalement reconnue. Depuis la COP de Copenhague, en 2009, le contentieux du financement des solidarités Nord-Sud polarise l’attention car les financements sont encore loin d’atteindre les 100 milliards prévus. Actuellement, selon le rapport de l’OCDE, le flux financier d’aide Nord-Sud, atteint 71 milliards de dollars dont 13 milliards de dollars pour l’adaptation. Les aides peuvent aussi être utilisées pour renforcer l’expertise et les études permettant de favoriser la stratégie climat des pays et d’intégrer l’adaptation et les enjeux de climat et de genre dès le montage du projet qui peut concerner l’éducation, l’agriculture, la santé.

Conclusion

Le président de l’ADEME, Arnaud Leroy, a insisté sur l’adaptation comme moyen de survie de l’humanité contrainte de vivre dans une planète plus chaude de 3 à 4°. Il déplore la lenteur des outils administratifs puisqu’il faut au moins quatre ans pour réaliser un PCAET alors que le réchauffement s’accélère. Il préconise une vigilance accrue et une anticipation dans le secteur de l’agriculture, dans lequel la PAC représente l’outil essentiel, mais aussi dans celui du tourisme. Comment concilier l’augmentation du nombre de visiteurs avec les contraintes environnementales ?