AIR et SANTÉ : « CONNAÎTRE MAIS AGIR »

by in Actualité 11 mars 2024

« Connaître mais agir » : telle a été ma réflexion au moment de ma synthèse comme grand témoin de la seconde journée des Rencontres internationales Air & Santé 2024, organisées à Toulouse, les 6 et 7 février à l’Hôtel de Région, par Atmo France, Atmo Occitanie et l’Ineris et animées par Valéry Laramée de Tannenberg, journaliste scientifique, spécialiste des questions environnementales et climatiques.

Il est vrai que tout au long de ces deux journées, nous avons mis en balance la connaissance et l’action. « Accumuler les connaissances scientifiques par la recherche, la métrologie et les expositions aux polluants ne doit pas retarder les actions sur la réduction de la pollution atmosphérique ».

Une première journée consacrée aux polluants réglementés

Nous débutons la première journée, consacrée aux polluants réglementés de l’air ambiant, par les nouvelles recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) justifiées par les connaissances scientifiques et les enjeux sanitaires, qui devront conduire à de nouvelles actions pour les respecter. La pollution de l’air représente un enjeu majeur en raison de son impact potentiel sur la santé et sur l’environnement. Maria Neira, Directrice à l’OMS du Département Santé Publique, Déterminants Environnementaux et Sociaux de la Santé, nous interroge sur la prise de conscience et le changement que doivent entraîner ces nouvelles recommandations. Elles s’inscrivent aussi dans la dynamique des objectifs de neutralité carbone et de la réglementation résultant du Pacte vert européen. « Revenir au poumon rose, la couleur normale du poumon » encourage Maria Neira. Dorota Jarosinska, responsable du programme Milieux de vie et de travail au Centre européen de l’environnement et de la santé de l’OMS, nous explique le processus scientifique qui a abouti à la validation et à la diminution progressive des valeurs guides. Christophe Clergeau, député européen et François Wakenhut, responsable de l’Unité Qualité de l’Air à la Commission européenne, font le point sur les projets de nouvelles directives européennes et s’interrogent sur une réglementation à la hauteur des enjeux sanitaires. Dans le cadre de la révision en cours des directives européennes sur la qualité de l’air ambiant, les seuils réglementaires actuels devraient être abaissés dans les prochaines années pour tenir compte des valeurs guides de l’OMS. Aux Etats-Unis, Kimber S. Scavo, de l’Agence de Protection de l’Environnement (EPA) présente un état des lieux des processus scientifiques de l’EPA et fait part des évolutions réglementaires, au niveau fédéral et selon les états, sous-tendues par le développement scientifique.

La situation française de la qualité de l’air extérieur et les enjeux de la nouvelle directive pour la France sont présentés par Diane Simiu, directrice du climat, de l’efficacité énergétique et de l’air, au ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires.  Sur la période 2000-2022, les émissions anthropiques de la plupart des polluants réglementés ont diminué. Ainsi, la baisse atteint 60 % pour les oxydes d’azote (NOx), respectivement 48 % et 55 % pour les PM10 et les PM2,5, et 85 % pour le dioxyde de soufre (SO2). Ces améliorations font suite à la mise en œuvre de stratégies et de plans d’actions nationaux et territoriaux pour réduire les émissions dans différents secteurs d’activité (industries, transports, agriculture, etc.). Sur la même période, les concentrations annuelles ambiantes en dioxyde d’azote (NO2), PM10, PM2,5 et SO2 ont également baissé. À l’inverse, les teneurs moyennes annuelles en ozone (O3) ont augmenté. La France demeure régulièrement confrontée à des épisodes de pollution liés aux conditions météorologiques qui favorisent l’accumulation des polluants dans l’atmosphère. En 2022, 4 polluants sur les 12 dont les concentrations sont réglementées à l’échelle européenne (NO2, PM10, O3 et nickel) sont concernés par des dépassements des seuils réglementaires, qui affectent toutefois des zones moins étendues et moins nombreuses. Néanmoins, la France a été condamnée via un premier arrêt par la Cour de Justice Européenne en octobre 2019, après plusieurs procédures de contentieux, pour non-respect des valeurs limites en dioxyde d’azote et pour des actions insuffisantes afin de réduire les polluants. Un nouveau courrier de mise en demeure a été adressé à la France en février 2024, puisque cette dernière ne respecte toujours pas la directive qualité de l’air de 2008. De son côté, le Conseil d’Etat a une nouvelle fois condamné l’Etat à payer une astreinte en novembre 2023, l’Etat n’ayant pas pris les mesures nécessaires pour faire respecter les seuils européens de qualité de l’air dans plusieurs zones urbaines. Cette nouvelle astreinte s’élève à un montant de 10 millions d’euros en raison de dépassements pour le NO2 à Paris et Lyon, pour la période allant du 12 juillet 2022 au 11 juillet 2023. La première décision du Conseil d’Etat remonte à juillet 2017 et concerne la mise en place de mesures pour réduire le niveau de NO2 et des PM10 dans 13 territoires, avec une astreinte de 10 millions d’euros par semestre de retard. Les mesures ayant été jugées insuffisantes, le Conseil d’Etat a depuis condamné l’Etat en 2021, puis en 2022 à plusieurs astreintes atteignant au total 30 millions d’euros au profit de différentes structures : les Amis de la Terre et autres requérants, l’Ademe, l’Anses, l’Ineris, plusieurs Associations Agréées de Surveillance de la Qualité de l’Air (AASQA) ainsi que le Cerema..

Pour l’année 2022, les valeurs guides de l’OMS publiées en 2021 pour le NO2, l’O3, les PM10 et les PM2,5 ne seraient pas respectées pour 72 à 97 % des agglomérations alors que les seuils réglementaires actuellement en vigueur ne sont que peu dépassés (entre 0 et 12 % des agglomérations selon les polluants).

Sylvie Cassadou, médecin épidémiologiste à l’Observatoire régional de santé Occitanie, associée à Guillaume Boulanger, de Santé Publique France, nous présente avec la méthode EQIS, l’évaluation quantitative de l’impact sur la santé, adaptée à la pollution atmosphérique, un exemple concret d’impact positif sur la santé de l’amélioration de la qualité de l’air sur l’agglomération toulousaine.

La première table ronde de la journée discute des actions publiques (en particulier, les zones à faibles émissions mobilité, les transports en commun…) pour baisser les concentrations des polluants de l’air ambiant et respecter les réglementations futures. Elle associe des représentants de l’OMS, de l’EPA, des ministères polonais et français de l’environnement, et la métropole de Montpellier.

La seconde partie de la première journée débute par une présentation de Robert Barouki, professeur à l’université Paris Cité, du concept d’exposome défini en 2005 par Christopher Paul Wild, directeur du Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) comme « l’ensemble des expositions environnementales au cours de la vie, y compris les facteurs liés au mode de vie, dès la période prénatale », afin de mieux comprendre les causes des maladies chroniques par les interactions entre nos gènes et notre environnement, notre cadre de vie, nos modes de vie . L’exposome est une représentation complexe et dynamique des expositions auxquelles une personne est sujette tout au long de sa vie, intégrant l’environnement chimique, microbiologique, physique, récréatif, médicamenteux, le style de vie, l’alimentation,, ainsi que les infections. En 2012, Christofer Wild propose un trio d’exposomes : l’exposome interne (hormones, marqueurs de stress inflammatoire, métabolites), l’exposome externe spécifique (polluants, rayons, agents infectieux, professions et modes de vie) et l’exposome externe général, qui a trait au milieu socio-économique et au cadre de vie.

Deux exemples d’actions phares dans deux capitales, Londres et Paris, nous sont ensuite présentés. Alejandro Colsa Perez, responsable de la qualité de l’air à la Direction générale de l’agglomération londonienne, parle du programme de zones à faibles émissions ULEZ qui couvre tous les arrondissements de la ville, soit 1 500 km2, pour lutter contre la pollution atmosphérique urbaine. Il vise à retirer les véhicules les plus polluants des routes londoniennes permettant ainsi à neuf millions de personnes de respirer un air plus pur. Quant à la ville de Paris, Romain Bathiste, de la Direction de la transition écologique et du climat, développe les enjeux de sécurité et de pollution. La situation parisienne est définie comme le partage de l’espace public et des voies de circulation, la réalisation d’espaces piétonniers et végétalisés aux abords des équipements municipaux, et l’autorisation, depuis le 1er juin 2021, aux seules voitures électriques et celles de niveau Crit’Air 1, 2 ou 3 d’entrer dans le Grand Paris (7,2 millions d’habitants), tout ceci dans le contexte de la votation du 4 février 2024 des Parisiens, pour laquelle 54,55 % des 78 121 votants ont souhaité le triplement du tarif de stationnement visiteur destiné aux véhicules individuels lourds, polluants et encombrants.

Trois conférences suivent et concernent les impacts de la pollution atmosphérique sur la santé. Emeline Lequy, de l’INSERM, nous présente les connaissances acquises sur l’impact de l’exposition à long terme à la pollution atmosphérique sur la santé respiratoire, l’asthme, la rhinite et les performances cognitives. Ces études épidémiologiques sont réalisées grâce à la cohorte Constances, une infrastructure de recherche ouverte à la communauté scientifique et composée d’un échantillon aléatoire de 220 000 volontaires nés entre 1941 et 2000 et recrutés entre 2012 et 2021 dans les centres d’examen de santé de la Sécurité Sociale et la cohorte Gazel, créée par EDF, GDF et l’INSERM en janvier 1989, qui permet de suivre pendant une très longue durée l’état de santé et les principaux facteurs de risque d’un vaste échantillon de 145 000 agents d’EDF et de GDF. Béatrice Fervers de l’Institut Léon Bérard de Lyon fait le lien entre cancers et pollution atmosphérique, en particulier le cancer du sein chez la femme. Enfin, Tarik Benmarhnia, professeur d’épidémiologie environnementale à l’institut Scripps d’Océanographie de l’université de Californie à San Diego, présente les effets combinés des vagues de chaleur et de l’ozone sur les taux de mortalité prématurée, avec une étude des données chronologiques quotidiennes estivales sur 15 zones urbaines françaises au cours de la période 2000-2015.

La première journée des RIAS se termine par une table ronde associant les intervenants précédents de l’INSERM, de la Ville de Paris et de l’Institut d’Océanographie de l’université de Californie, et des représentants de Toulouse Métropole, de HEAL (Health & Environment Alliance) et moi-même, pour le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) et la Société Francophone de Santé et Environnement (SFSE). Cette table ronde a pour thème « les actions publiques pour réduire la pollution atmosphérique et son impact sur le changement climatique ». Elle confronte les connaissances sur l’exposome et les facteurs de co-exposition avec la pollution atmosphérique (pollens, virus respiratoires, vagues de chaleur extrême), le plaidoyer européen des organisations sur santé environnement, les messages sanitaires du HCSP à diffuser à la population, en particulier aux personnes vulnérables, et la progression des actions menées par deux métropoles, Paris et Toulouse, sur la pollution atmosphérique et le changement climatique.

En conclusion de cette première journée des RIAS 2024, Corinne Lepage, Avocate au Cabinet Huglo-Lepage et ancienne ministre de l’Environnement (1995 – 1997), qui a porté la loi sur l’Air et l’Utilisation Rationnelle de l’Energie (LAURE) de décembre 1996, nous rappelle le contenu de cette loi. Pour Corinne Lepage, si les éléments contenus dans la LAURE n’ont pas été tous pris en compte,  il faut se féliciter de la consolidation des AASQA, de l’entrée en scène à l’échelle locale des Plans de Protection Atmosphérique (PPA) et des Plans de Déplacements Urbains (PDU), à l’échelle régionale, du Plan Régional de la Qualité de l’Air (PRQA) et à l’échelle nationale, du Programme de Surveillance Air et Santé (PSAS) toujours en œuvre au sein de Santé Publique France, en lien avec les acteurs nationaux (Ineris, LCSQA, Atmo France) et régionaux (ARS-Cire, AASQA) de l’environnement. Toutefois, de gros efforts de réduction des émissions de polluants atmosphériques devront être faits pour respecter les nouvelles valeurs guides de l’OMS.

Il est à noter que l’approche transversale Air – Climat Energie sera plus développée dans la dynamique du Grenelle de l’Environnement et sa loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement. Le volet qualité de l’air sera renforcé dans les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) et dans les Schémas de cohérence territoriale (SCOT). On citera aussi la création des Schémas régionaux du climat, de l’air et de l’énergie (SRCAE), rendant caducs les PRQA, ainsi que des Schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR) et des Plans climat-énergie territoriaux devenus en juin 2016 les Plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET). Par la suite, la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) introduit l’élaboration de schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire (SRADDET) englobant les dispositions du SRCAE. D’autres plans sectoriels sont aussi publiés, comme le programme de réduction des émissions de polluants atmosphériques (PREPA) le 8 juillet 2003, pour transposer la directive européenne du 23 octobre 2001 sur les plafonds d’émissions de certains polluants et sera intégré par la suite dans le Plan national santé environnement 3 (PNSE 2015-2019), le plan « air (dit Plan Bachelot), en novembre 2003, pour la gestion des pics de pollution notamment à l’ozone, le plan « véhicules propres » en écho à la directive européenne du 23 avril 2009 ou comme le plan Particules, le 11 juillet 2008, intégré dans le PNSE 2 (2009-2013), un des engagements issus des conclusions du Grenelle de l’environnement, sans oublier les feuilles de route très tendues établies pour les zones concernées par le contentieux européen.

Une seconde journée consacrée aux polluants non réglementés

La seconde journée des RIAS 2024 est consacrée à une pollution atmosphérique moins bien connue qui nécessite de développer des projets de recherche, d’adapter la surveillance de la qualité de l’air pour ces polluants non réglementés et de partager les connaissances. Parmi ces substances présentes dans l’air, les pesticides font l’objet de préoccupations croissantes.

Dominique Potier, député de Meuthe-et Moselle, est rapporteur d’une Commission d’enquête sur les pesticides (Juillet – Décembre 2023) dont l’objet était d’identifier les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire. 

Parmi les 26 recommandations de ce rapport, il est demandé de mettre en œuvre un plan de surveillance national des pesticides dans l’air et d’élaborer des valeurs réglementaires sur la contamination par les pesticides dans les différents milieux aériens. En effet, l’enquête a mis à jour l’absence de politique de surveillance nationale et l’absence totale de doctrine quant aux risques toxicologiques sur l’impact d’une exposition aux produits phytopharmaceutiques par voie inhalée. Elle note que tous les compartiments de l’environnement sont contaminés et que les indicateurs des usages des produits phytopharmaceutiques, au regard de l’objectif de réduction de 50 %, sont au même niveau qu’en 2009. L’expertise collective de l’INSERM de 2021 renforce les présomptions de liens, déjà identifiés en 2013, avec la maladie de Parkinson, certains troubles cognitifs, la maladie d’Alzheimer, les lymphomes non hodgkiniens et le cancer de la prostate ; pour l’enfant, elle établit des liens avec certaines leucémies, des tumeurs du système nerveux central mais également des troubles du développement neuropsychologique et moteur. Les travailleurs de la terre sont les premiers concernés. La France a développé un savoir-faire pionnier dans la phyto-pharmacovigilance, qui permet de prendre en compte les effets à long terme des produits. Le rapport souligne des enjeux très forts de recherche sur les effets cocktails et épigénétiques, sur la prise en compte de l’exposome, dans une approche « One Health ».

Fabrizio Botta, adjoint au chef du dispositif national de Phyto-pharmacovigilance de l’Anses, nous fait part de la surveillance des pesticides dans l’air ambiant. Résultat de la collaboration entre l’Anses, le LCSQA et les AASQA, une campagne nationale exploratoire de mesure des résidus de pesticides dans l’air extérieur (CNEP) s’est déroulée de juin 2018 à juin 2019 sur l’ensemble du territoire national (métropole et DROM). Sans précédent par le nombre de substances recherchées et sa couverture géographique et temporelle, elle a été menée selon un protocole harmonisé défini par le LCSQA. L’un des objectifs de cette campagne était d’établir un premier état des lieux de la contamination de l’air extérieur par les résidus de pesticides durant une année complète sur des sites de fond, c’est-à-dire dans des zones éloignées de toutes sources directes de pesticides.

Sur la base des résultats obtenus lors de la CNEP, une stratégie pérenne de suivi national des concentrations de pesticides dans l’air ambiant a été définie et son déploiement a débuté en juillet 2021. Sur la période 2021-2022, 19 sites de mesure localisés en métropole et dans les DROM assurent le suivi des pesticides au titre du suivi national. Ils sont répartis en fonction de différentes typologies d’occupation des sols permettant de cibler la nature des substances mesurées. La liste des substances recherchées lors de la CNEP a été reconduite à l’identique pour le suivi pérenne. Elle comporte 74 substances actives et 1 métabolite du glyphosate, l’acide aminométhylphosphonique (AMPA), soit 75 substances : 29 herbicides, 23 insecticides, et 22 fongicides, mesurées sur une durée de 7 jours pour les substances semi-volatiles et de 48 heures pour les substances polaires, peu volatiles, comme le glyphosate, l’AMPA et le glufosinate. Les 19 sites de mesure des substances semi-volatiles comprennent six sites « arboriculture », sept sites « grandes cultures », deux sites « maraîchage » et quatre sites « viticulture ». Cinq sites ont assuré le suivi des substances polaires. Un premier retour sur les données obtenues fait ressortir les points suivants : 29 substances n’ont pas été détectées, 46 substances ont été détectées et quantifiées, parmi lesquelles six présentent une fréquence de détection supérieure à 20 % [le glyphosate (75 %), la pendiméthaline (74 %), le lindane (62 %), le métolachlore (47 %), le triallate (43 %) et le prosulfocarbe (37 %), les substances présentant les niveaux de concentration ponctuels les plus élevés sont la deltamethrine, le folpel, le métolachlore, la pendimethaline, le prosulfocarbe et le triallate.

La table ronde qui suit réunit des représentants de l’Anses, de l’ONG PAN Europe, de l’association Alerte Médecins Pesticides et deux députés, l’un français et l’autre européen. La question posée porte sur l’impact sur la santé des pesticides inhalés. Les intervenants adhèrent aux conclusions du rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur l’échec des plans Ecophyto successifs et sur les causes de ces échecs. La réalité des impacts des pesticides sur les milieux, la biodiversité et la santé est aussi rappelée très clairement. Le rapport fait également le constat de certaines failles du système d’évaluation et d’autorisation des produits phytosanitaires. Il fait des propositions pour retrouver une dynamique pouvant porter une vraie politique de réduction de l’usage des pesticides et de transition agroécologique pour la France. Les intervenants souhaitent l’approfondissement des connaissances scientifiques sur la contamination des différents compartiments environnementaux par les pesticides et le développement de valeurs réglementaires pour la surveillance des pesticides dans l’air.

Francelyne Marano, Professeur émérite de biologie cellulaire et toxicologie environnementale à l’Université Paris Cité,  nous rappelle la définition des perturbateurs endocriniens donnée par l’OMS en 2002 : « Les perturbateurs endocriniens sont des substances chimiques étrangères à l’organisme qui peuvent interférer avec le fonctionnement du système endocrinien et induire ainsi des effets délétères sur cet organisme ou sur ses descendants. » Un perturbateur endocrinien peut donc agir soit au niveau des cellules endocrines en modifiant le débit de sécrétion de l’hormone, soit au niveau des cellules cibles en modifiant l’efficacité de l’action de l’hormone. Aujourd’hui plus de mille molécules, utilisées dans tous les domaines de l’économie et de la vie courante, sont considérées comme des perturbateurs endocriniens : pesticides organochlorés et organophosphorés, conservateurs antimicrobiens utilisés dans les industries cosmétiques et pharmaceutique et dans l’alimentation industrialisée, produits à usages industriel ou domestique (phtalates des matériaux plastiques, Bisphénol A des plastiques et résines époxy, éthers de glycol des peintures, retardateurs de flamme bromés des isolants, composés perfluorés, alkylphénols des détergents), dioxine, métaux lourds des rejets industriels, résidus médicamenteux, etc. 

Les perturbateurs endocriniens n’affectent pas seulement les fonctions de reproduction. Ils sont également incriminés dans les cancers (sein, prostate, testicule, foie), dans les maladies de la nutrition (diabète obésité), dans les maladies cardio-vasculaires, dans les altérations du développement nerveux (hyperactivité, autisme, réduction du QI chez l’enfant), dans les maladies neurologiques (Parkinson et Alzheimer chez l’adulte), dans les altérations des défenses (maladies auto-immunes, allergies…). Les populations particulièrement sensibles sont les femmes enceintes et les jeunes enfants. Les perturbateurs endocriniens ont des modalités d’action différentes de celles des autres toxiques. Les  effets sont différés : une exposition pendant la vie fœtale ou néonatale provoque des troubles qui n’apparaissent qu’à l’âge adulte. Les effets peuvent être plus importants avec de faibles doses qu’avec des doses plus fortes et dérogent au principe de base de la toxicologie classique énoncé par Paracelse au XVIe siècle : «  Tout est poison, rien n’est poison : c’est la dose qui fait le poison ». Le déficit induit peut être transmis aux générations futures. Les interactions entre molécules ou effets cocktails sont très complexes avec des effets additifs, synergiques, voire soustractifs. En outre, il existe des effets spécifiques chez l’homme par rapport aux animaux.

Un exemple est donné dans cette conférence sur la présence de phtalates au  sein des particules atmosphériques, ce qui doit conduire à bien définir la part de la voie respiratoire par rapport aux autres voies d’exposition aux perturbateurs endocriniens, digestive et cutanée, et à développer les recherches sur l’impact sanitaire de ces molécules que l’on respire au quotidien. En effet, l’évaluation des risques dans le domaine de la perturbation quotidienne est extrêmement complexe car d’une part, les effets sont différés, transgénérationnels, agissent à  faibles doses, en mélanges et dépendent de l’espèce, et d’autre part, les maladies et les déficits générés par les perturbateurs endocriniens peuvent également être causés par d’autres facteurs, comme les facteurs génétiques, le stress, les infections, les effets secondaires des médicaments, la mauvaise hygiène de vie. En outre, il est difficile d’identifier l’effet d’un perturbateur endocrinien parmi l’effet potentiel de plus de mille perturbateurs endocriniens et de milliers d’autres toxiques environnementaux.

Toutes ces incertitudes sur les connaissances scientifiques (il faut des centaines d’expérimentations dans des conditions différentes, sur des espèces animales différentes, pour avoir une vision cohérente) ouvrent très largement le champ au doute lorsqu’il s’agit de légiférer et d’interdire ou non un produit. C’est dans ce doute que s’engouffrent toutes les forces dont les intérêts économiques et/ou financiers vont à l’encontre de l’interdiction. Au contraire, les ONG du domaine relèguent le doute au second plan et privilégient le principe de précaution. L’exemple du Bisphénol A est emblématique, sur le même corpus de données scientifiques la France a interdit cette substance depuis 2015 dans tous les contenants alimentaires, alors que l’Europe a considéré le risque était mineur ou inexistant et ne l’a pas interdit. Sandra Jen, coordinatrice à EDC FREE Europe, nous parle de la reconnaissance réglementaire européenne pour la réduction des expositions aux produits chimiques et perturbateurs endocriniens, Pierre-Michel Perinaud, président de l’Association Alerte Médecins Pesticides, évoque l’exposition aux perturbateurs endocriniens en territoires viticoles, tandis que François Brion, chercheur à l’Ineris, nous parle de nouvelles opportunités de la bio-analyse des perturbateurs endocriniens dans les milieux aquatiques pour caractériser le dangers des polluants atmosphériques.

La table ronde qui suit associe des représentants du Réseau Environnement Santé, de l’ONG EDC Free Europe, de l’université Paris Cité, de la région Occitanie et du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Elle porte sur les besoins de mise en place d’un suivi dans l’air de l’évolution des perturbateurs endocriniens et de l’évaluation de leur impact sanitaire.

Dans cette attente, des conseils pratiques de protection de la santé sont donnés à titre individuel : manger bio autant que possible, limiter ou abolir l’usage des pesticides, ne pas réchauffer les aliments au four à micro-ondes dans des récipients ou des emballages en plastique, limiter l’usage des cosmétiques, parfums, sprays d’intérieur, laver les vêtements neufs et les jouets avant usage ; aérer votre habitation.

Pour en savoir plus sur les perturbateurs endocriniens : dossier dans ADSP, la revue du Haut Conseil de la santé publique. N°115, septembre 2021 https://www.hcsp.fr/explore.cgi/adsp?clef=1176

Les conférences suivantes font un état des connaissances sur les sources de black carbon (carbone suie) et des particules ultrafines et leurs impacts sur la santé.

Les études toxicologiques et épidémiologiques ont permis de souligner l’existence d’effets sanitaires de différents polluants atmosphériques qualifiés d’émergents. Dès 2018 et confirmé en 2019, ces études ont conduit l’Anses à recommander le renforcement de leurs surveillances dans l’air ambiant. L’arrêté du 16 avril 2021 relatif au dispositif national de surveillance de la qualité de l’air ambiant exige dorénavant que les polluants atmosphériques d’intérêt national fassent l’objet d’une surveillance spécifique et pérenne déterminée au niveau national. La liste de ces polluants est définie et mise à jour dans le référentiel technique national du LCSQA. Parmi ceux-ci figurent le carbone suie, les particules submicroniques, et certains pesticides. Ces polluants ne sont pas réglementés au niveau européen et il n’existe pas de seuils réglementaires associés.

De nombreux travaux scientifiques indiquent que la concentration en nombre total des particules atmosphériques Particle Number Concentration (PNC), majoritairement constituées de particules ultrafines, est une métrique sanitaire pertinente et complémentaire à la concentration massique pour évaluer l’exposition des populations aux particules ultrafines. En septembre 2020, le LCSQA publie, en concertation avec les AASQA et différents acteurs sanitaires, une note technique pour la surveillance nationale de la concentration en nombre total des particules (ultra)fines, qui définit le type d’instrument à mettre en œuvre, les de compteurs à noyaux de condensation (CNC) ainsi que l’implantation des sites de mesure. En 2022, 21 sites gérés par les AASQA sont équipés pour la mesure du PNC. D’ici fin 2024, environ 50 appareils devraient assurer ce suivi. EN 2022, les concentrations horaires sont en moyenne de 8 700 particules/cm3 pour les stations de fond urbain, (stations urbaines et périurbaines de fond), de 9 400 particules/cm3 pour les stations industrielles et de 12 000 particules/cm3 pour les stations trafic localisées en milieu urbain.

Fabrice Godefroy, chef de section du Réseau de surveillance de la Qualité de l’Air (RSQA) de la ville de Montréal explique pourquoi Montréal réglemente le chauffage au bois, l’une des principales causes du smog hivernal, afin de limiter l’émission de particules fines. Philippe Quenel, président d’AirParif et professeur honoraire de l’EHESP, dresse un état des connaissances sur les impacts sanitaires des particules ultrafines tandis que Béatrice Fervers, de l’Institut Léon Bérard à Lyon,  précise ceux du black carbone. Marion Keirbulck, cheffe de l’unité d’évaluation des risques liés à l’air à l’Anses, nous indique que les travaux d’expertise sur les composés, sources et autres granulométries des particules ont confirmé ce niveau de priorité pour les particules ultrafines en constatant des effets sanitaires avec des atteintes cardiovasculaires pour une exposition à court terme et neurologiques pour des expositions à long terme. Isabelle Annesi-Maesano, directrice de recherche à l’INSERM (UMR 1318), Montpellier, rappelle que la majorité de la population mondiale utilise la combustion de la biomasse surtout dans les pays en voie de développement.

La dernière table ronde des RIAS a pour thème les enjeux associés à la surveillance des particules ultrafines et du black carbone. Elle réunit l’institut Léon Bérard, Montréal, les agglomérations de Paris, Londres et Toulouse et l’Association Santé Environnement France. Le débat se concentre sur les impacts sanitaires, les modalités de surveillance et les actions sur les sources d’émission.

Dans ma synthèse de la seconde journée de conférences qui ont porté sur les pesticides, les perturbateurs endocriniens, les particules ultrafines ou le black carbone, que l’on qualifie de polluants atmosphériques « émergents » ou « non réglementés », je rappelle que les pesticides et les perturbateurs endocriniens ont plusieurs voies d’exposition humaine, digestive, cutanée et respiratoire, et qu’il est important de bien déterminer la part de ces voies d’exposition dans l’imprégnation de l’organisme. J’indique à cet effet qu’il faut également approfondir les connaissances sur les niveaux d’exposition de la population dans le compartiment « air », en développant et en diffusant les systèmes de métrologie dans les réseaux de surveillance de la qualité de l’air des AASQA. Les impacts sanitaires de ces polluants non réglementés sont de mieux en mieux connus et leurs sources d’émission bien appréhendés pour qu’il soit possible de mener des actions de réduction des émissions. Nous avons entendu lors de ces journées des phrases telles que « Nous en savons assez pour agir » et « Nous avons besoin de preuves tangibles pour prendre des décisions » J’invite alors les participants aux RIAS 2024 de mener une réflexion sur le thème de la connaissance et de l’action. « Connaître pour agir, connaître et agir ou connaître mais agir ! ».

"Il est à noter que les RIAS 2024 n’ont pas abordé, par exemple, les sujets des pollens et des moisissures de l’air ambiant, ni de l’exposition aux polluants des environnements intérieurs."
Fabien Squinazi
Membre du Conseil d'Administration et du Conseil Scientifique de l'APPA