Le chauffage au bois demeure peu connu des citoyens comme source de pollution de l’air, y compris dans certains territoires fortement impactés de la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Mis en œuvre dans le cadre de l’appel à propositions de recherches « Villes et qualité de l’air » du programme Primequal, le projet Checkbox s’inscrit dans la suite des travaux utilisant les micro-capteurs (Mobicit’Air, BB-Clean, etc…) menés par Atmo Auvergne-Rhône-Alpes en vue d’élargir l’appréhension et la prise en compte par les populations de la qualité de l’air et faire évoluer les pratiques. Porté par des sociologues en partenariat avec Atmo-AuRA, le projet associait également la Scop La Turbine, impliquée dans le développement et l’usage citoyen des technologies numériques.

Il avait comme objectif d’approfondir la compréhension des liens entre mesures citoyennes à l’aide de micro-capteurs, perceptions et pratiques relatives au chauffage au bois sur deux territoires, la métropole de Grenoble et la ville d’Annonay. Il s’agissait de replacer le citoyen, première victime de la pollution, à l’origine de sa caractérisation, le micro-capteur permettant l’identification de la trace spatio-temporelle d’une pollution qui échappe aux sens. Le projet se situait à l’articulation de trois champs de représentations, la pollution, la technologie et le chauffage au bois.

L’étude s’est développée en trois phases :

– Une expérimentation dans la métropole grenobloise pour mieux comprendre la façon dont la mesure citoyenne impacte la perception et les comportements vis-à-vis du chauffage au bois (janvier-avril 2019)

– Une étude collaborative sur deux communes de l’agglomération ayant une forte proportion de chauffages au bois : Herbeys (132 des 478 logements utilisant un chauffage au bois) et Seyssins/Seyssinet (50 logements sur 492 utilisant un chauffage au bois), avec un profil plus urbain. Il s’agissait là, à travers une animation spécifique assurée par la Scop La Turbine, de susciter une dynamique collective d’investigation.

– Une troisième phase à Annonay pour examiner les modalités de transfert de ce type d’approche à un espace moins fortement urbanisé, plus rural et où la question de la qualité de l’air n’avait pas le même écho public que dans l’agglomération grenobloise.

Sur le plan méthodologique, le projet a étroitement associé les ressources techniques et humaines d’Atmo-AuRA (fourniture et étalonnage des micro-capteurs, formation des participants à leur usage et suivi si nécessaire, recueil et mise à disposition des données aux participants via un dispositif dédié nommé Captothèque (https://www.captotheque.fr/fr)) et le travail sociologique par questionnaires, entretiens, focus groupes, échanges en ligne et analyse de contenus ainsi qu’un suivi sociologique du dispositif collaboratif spécifiquement mis en place lors de la phase 2 de l’étude[1].

Les micro-capteurs utilisés mesuraient les particules PM10, PM2,5 et PM1 à un pas de temps d’une seconde, couplés à un GPS permettant la localisation et le suivi spatial des mesures.  Les données de mesures étaient stockées et consultables par les participants via le dispositif Captothèque mis en place par AtmoAuRA. Les mesures étaient libres et les participants pouvaient décider des « missions » de leur choix parallèlement à des propositions plus ciblées, à l’intérieur comme à l’extérieur, sans sollicitations particulières en matière de chauffage au bois.

L’analyse sociologique du questionnaire de recrutement à l’expérimentation grenobloise en phase 1 (383 réponses) a fait ressortir l’intérêt des répondants pour la qualité de l’air mais aussi une information massivement considérée comme mauvaise sur le sujet (58 % se disent très mal informés, 10 % bien informés). Cinq motivations à participer étaient avancées par les répondants : le souci de comprendre les enjeux de la pollution (66%) ; le besoin d’agir, de sensibiliser pour améliorer la qualité de l’air (15%) ; le désir de produire des données (10%) ; le souci de protéger sa santé (5%) ; le désir de rendre service en contribuant au projet (2%). Cette population de répondants, largement technophile, était plutôt masculine (65 % d’hommes contre 35 % de femmes), très diplômée avec une forte proportion de CSP élevées.

Ces caractéristiques se retrouvent chez les participants retenus sur les trois phases de l’étude, au nombre de 77, avec notamment 71 % de titulaires d’une deuxième ou d’un troisième cycle universitaire (contre 25 % au niveau national), 66 % utilisateurs d’un chauffage au bois, résidant très majoritairement en maison individuelle et propriétaires. Ils constituent donc un échantillon non représentatif de la population générale, mais un bon support pour la recherche par leur motivation. Comme les répondants évoqués précédemment, les participants étaient intéressés et préoccupés par la qualité de l’air mais, malgré un niveau de formation élevé, se sentaient majoritairement insuffisamment informés sur la question. La dimension de la santé venait au premier rang de leurs préoccupation.                      

Les principaux résultats

A résulté du protocole de mesure non directif adopté, une très grande diversité de mesures dans de nombreuses situations, souvent en mobilité, et donc l’appréhension d’un large éventail de phénomènes dans des localisations et des environnements très différents (activités domestiques, plus rarement professionnelles, de loisir, transport, contextes météorologiques variés, inversions thermiques, etc.). Le principal résultat a été l’identification spontanée du chauffage au bois comme source majeure de pollution particulaire en période hivernale. L’observation sensorielle (olfactive, visuelle) a souvent suscité et aiguillé la prise de mesure, mais la mise en relation entre perception sensorielle et données du capteur a aussi fait ressortir de multiples écarts par rapport aux attentes ou aux représentations convenues (cuisine, combustion d’encens, écobuage, etc..). Les mesures ont aussi conduit un certain nombre de participants à modifier leurs pratiques en matière de chauffage au bois, voire à s’engager dans des démarches davantage proactives, non sans parfois se heurter à des résistances, en particulier de proches.

Les expériences participatives de la phase 2 ont été appréciées dans la dynamique collective territorialisée qu’elles ont su mettre en place. Lors de la phase 1, les participants ont manifesté peu d’intérêt à comparer leurs résultats avec ceux des autres participants ou du réseau de mesure. De fait, les mesures par micro-capteurs sont significatives et appropriables par les participants mais d’un autre ordre que les données de surveillance. L’accompagnement technique apparait ici essentiel pour s’assurer du bon fonctionnement des capteurs mais également pour apporter une meilleure lisibilité et une mise en perspective solide des résultats.

Le large champ d’expérience couvert par les participants de Checkbox s’est globalement traduit par une sensibilité mieux informée, une compréhension significativement accrue, derrière l’appréhension de la part du chauffage au bois dans la question de la qualité de l’air, de l’hétérogénéité de ses composantes et des difficultés que soulevait sa métrologie, de la multiplicité des spécificités qu’elle recouvre. Il a aussi induit une meilleure notion de pratiques à développer à l’échelle individuelle en matière de chauffage au bois (allumage par le haut, séchage du bois, etc…) ou d’aération du logement mais aussi une critique de l’insuffisance des politiques publiques (contrôle des installations, orientation des aides). La dimension dite citoyenne peut interroger dans son infléchissement possible vers une approche trop spécifiquement individuelle dans un contexte qui y est mal préparé de par son fort encadrement collectif. La dimension collective de la qualité de l’air apparait cependant renforcée dans la réfutation de la tendance collective à ramener à l’échelle individuelle toute injonction à l’action.

Le projet a permis le recueil d’une grande diversité d’éléments. Il offre ainsi des ressources significatives pour des développements ultérieurs en direction de multiples publics en matière d’études complémentaires comme de pédagogie et de formation, en particulier des professionnels du secteur, d’acculturation, de contrôle et de communication. Celles-ci sont présentées dans une large rubrique recommandations du rapport. Pour conclure, Checkbox présente, via le recours au micro-capteur et l’approche du chauffage au bois à travers un dispositif d’enquête sophistiqué, un tableau très riche des multiples facettes de la qualité de l’air, de l’expérience individuelle de sa complexité, et des difficultés à y faire face tant individuellement que collectivement. Par-delà le risque de renforcer le « blaiming », la critique de l’indigence des mesures collectives prises réglementairement, il permet de prendre pleinement la mesure à échelle fine de l’ampleur des dispositions et des moyens nécessaires pour faire avancer substantiellement la question de la pollution particulaire liée au chauffage au bois, et plus largement de la qualité de l’air dans ses multiples composantes.

[1] En notant que cette phase comme la suivante ont été affectées par l’épidémie de covid qui en a fragilisé le déroulement et pour une part limité les résultats.