Commentaire du Baromètre 2019 de l’IRSN : la perception des risques et de la sécurité par les Français

by in Revue 17 décembre 2019

Proposé par Isabelle Roussel, Présidente d’honneur de l’APPA.

L’édition 2019 du Baromètre s’inscrit dans la continuité des éditions antérieures. L’enquête a été conduite à l’automne 2018 selon la même méthodologie que les précédentes : des entretiens en face‑à‑face auprès d’un échantillon représentatif d’environ 1 000 personnes, sur la base d’un questionnaire stable afin d’assurer la continuité des séries de données. La représentativité de cet échantillon est assurée par la méthode des quotas (en termes de sexe, âge de l’interviewé, CSP du chef de famille) après stratification par région et taille d’agglomération. 

Les préoccupations des Français

L’insécurité arrive en première position pour la première fois depuis 2001.  L’apparition de l’insécurité́, en tête des préoccupations, est probablement à mettre en relation avec les actes de violence qui se sont déroulés en marge des manifestations des gilets jaunes de décembre 2018 et ont fait l’objet d’une très large médiatisation pendant le déroulement de l’enquête (réalisée du 26 novembre au 14 décembre 2018).

Le score cumulé des préoccupations environnementales (« réchauffement climatique » et « dégradation de l’environnement ») atteint 42 %, à comparer au score cumulé de 64 % des préoccupations socio‑économiques citées juste avant. Les préoccupations environnementales restent donc au second plan mais voient leur importance croître. 

Les préoccupations environnementales

Fig.1 En France, parmi les sujets actuels suivants, lequel est pour vous le plus préoccupant ? En premier ? En second ? Les résultats cumulés (en %) correspondent à la somme des premiers et seconds choix. C’est pourquoi le total des pourcentages de réponse est supérieur à 100.

Les préoccupations liées à «la dégradation de l’environnement », notions pourtant bien vagues, sont citées par un Français sur trois et arrivent en 4e position. Elles sont en progression constante depuis 2009 et affichent 10 points de plus qu’en 2017.

Plus surprenantes, les préoccupations relatives à̀ « la disparition d’espèces animales » sont en constante progression depuis 2012 (+14 points). En 2018, elles se hissent en deuxième position, devançant pour la première fois la pollution de l’air. Faut-il voir dans cette progression le regain d’intérêt pour « la cause animale ?

Après une tendance à la baisse entre 2006 et 2013 (‐13 points), les préoccupations liées au « réchauffement climatique » parmi toutes les préoccupations environnementales, augmentent fortement depuis 2013, malgré́ un repli en 2016 (+8 points par rapport à̀ 2017, +29 points par rapport à̀ 2013). Le retour à̀ des taux enlevés pour ces modalités n’est pas surprenant car l’année 2018 a été « extrême », classée par l’Organisation mondiale de la météorologie (OMM) au 4e rang des plus chaudes enregistrées et avec une hausse des phénomènes météorologiques et climatiques tels que l’acidification des océans, la hausse du niveau des mers, ou la fonte des glaciers.

Cette forte sensibilité́ environnementale a vraisemblablement été exacerbée par la médiatisation d’un nombre important de sujets lies aux conséquences du changement climatique cette année. On pense notamment au rapport du GIEC d’octobre 2018 sur les impacts d’un réchauffement de 1,5° de la planète qui a fait l’objet de nombreux commentaires. Greta Thunberg et la mobilisation, fortement médiatisée, des jeunes en faveur du climat, ont contribué à ce regain d’intérêt.

La pollution de l’air apparaît en troisième position mais il faut souligner l’ambiguïté qui peut exister dans les esprits entre les polluants atmosphériques et les gaz à effet de serre. En effet, la définition de la pollution atmosphérique énoncée dans la loi sur l’air de 1996, propose comme polluant de l’air tout gaz susceptible d’induire des conséquences préjudiciables sur le climat.

L’inquiétude ressentie pour ces thèmes se traduit dans l’énoncé des risques perçus.

La perception des risques environnementaux

35 situations à risque ont été proposées aux personnes interrogées. Les Français ont donné leur opinion sur le niveau de risque de ces situations, la confiance qu’ils ont visà‐vis des autorités pour les protéger de ces risques et la crédibilité́ qu’ils accordent à l’information donnée sur ces risques.  

Le risque lié à la pollution atmosphérique arrive en quatrième position après le cancer, le terrorisme et les pesticides (fig.2). Ceux-ci inquiètent la population aussi bien quand ils se trouvent dans l’air que dans l’eau ou dans les aliments. A l’exception de 2018, depuis 2012, ce risque est perçu comme de plus en plus élevé. D’ailleurs la courbe du risque induit par les pesticides suit celle de la pollution atmosphérique qui, en 2012, était perçue comme présentant un risque élevé par 61% de la population contre 69% à l’heure actuelle (fig.3). Dès le début du XXIe siècle, la pollution était perçue comme un risque fort alors que la médiatisation du phénomène grandissante au cours de ces dernières années donnerait à penser qu’il s’agit d’une prise de conscience nouvelle.

L’augmentation de la prise de conscience du risque est plus nette pour les pesticides qui apparaissent comme une préoccupation relativement récente. Les fortes polémiques autour du rôle cancérigène du glyphosate alimentent ces inquiétudes. La préoccupation pour les pesticides est confirmée par le Baromètre Santé Environnement PACA 2017, qui observe que les pesticides se classent au premier rang des risques sanitaires les plus préoccupants : « plus de neuf habitants sur dix pensent qu’ils présentent un risque pour la santé et six sur dix un risque “ très élevé́ ” ».

Tout en étant reconnus comme présentant un risque fort par « seulement » 50% des enquêtés, la peur des OGM ne cesse de croître.

Fig.2 Dans chacun des domaines suivants, considérez-vous que les risques pour les Français en général sont très élevés, élevés…..
Fig.3 Pourcentage des enquêtés évaluant des niveaux de risque

La sensibilité au changement climatique explique l’importance de la perception du risque lié aux inondations (+13,5 points comparativement à 2017 passant de la 24e à la 18e place) ou aux canicules (+17 points par rapport à̀ 2017, passant de la 28e à la 25e position).

L’année 2018 a été marquée par des événements extrêmes (cf ci-dessus), que ce soit la survenue d’inondations, notamment en région parisienne en mai et dans l’Aude en octobre, ou le phénomène de canicule qui a touché́ la majeure partie de la France pendant l’été. Les mois de juin, juillet et août ont en effet été les mois les plus chauds jamais enregistrés par Météo France après ceux de 2003.

Dès 2008, les méfaits de la canicule de 2003 étaient oubliés et il faut attendre la hausse des températures au cours de l’été 2015 pour que ce risque redevienne prégnant dans les consciences et ne cesse de s’affirmer tandis que 16% des enquêtés considèrent que ce risque faible (fig.4).

Fig.4 Pourcentage des enquêtés évaluant des niveaux de risque

Plus de la moitié des enquêtés perçoivent le risque lié à une centrale nucléaire comme élevé. Sans doute le débat sur la vétusté des centrales à propos de la fermeture de la centrale de Fessenheim a entretenu l’idée d’un risque pour les riverains. En outre, toutes les recommandations données par l’ASN (l’autorité de sureté nucléaire) à propos de la centrale de Flamanville entretiennent une certaine méfiance vis-à-vis de cette technologie.

Les nanoparticules poursuivent en 2018 la tendance à la hausse amorcée en 2010 (+22 points depuis 2010, +5 par rapport à̀ 2017). Il est intéressant de noter que parallèlement, depuis 2010, les réponses « Ne sait pas » sont passées sur ce sujet de 21 % à 13 %.

Conclusion sur les risques

D.Boy dans son commentaire souligne sinon de strictes correspondances, du moins des relations assez cohérentes entre ce que le public perçoit à travers le prisme des médias comme plus ou moins « risqué » et les réponses recueillies dans le baromètre de l’IRSN.

La hiérarchie des risques perçus peut s’éloigner de celle des risques mesurés par un indicateur objectif, comme le nombre des décès ou des blessés. Ainsi le risque individuel lié aux drogues et au tabagisme de même que celui induit par les accidents de la route, qui tue régulièrement, n’est perçu comme risque élevé que par 1,1% des enquêtés. En revanche, il paraît curieux que plus d’un français sur deux considère que le risque lié aux OGM ou à l’alimentation est élevé.

Paradoxalement, les risques individuels ou risques pour lesquels une responsabilité́ est difficile à engager restent ceux pour lesquels le niveau de confiance quant aux actions de protection du gouvernement et le niveau de crédibilité́ des informations transmises sont les plus forts. Au contraire, les risques liés aux pollutions diffuses, technologiques qu’ils soient nucléaires ou chimiques sont ceux pour lesquels les Français émettent un doute sur la véracité́ des informations. Seulement 27% des enquêtés pensent que le discours entendu sur la pollution de l’air est véridique. Même si les chiffres de 2018 sont plus encourageants, moins d’un français sur deux se sent protégé par les autorités des dangers induits par la pollution de l’air alors que la confiance est plus grande pour les accidents de la route voire même pour le sida.

Quelques indications sur l’énergie

Fig. 5 Perception de la performance des sources d’énergie

Les sources d’énergie citées par les Français comme répondant le mieux à̀ des enjeux environnementaux (les moins polluantes, les plus respectueuses de l’environnement et permettant le mieux de lutter contre l’effet de serre) restent cette année encore l’énergie solaire, très largement en tête, puis l’énergie éolienne. En effet, bien que l’énergie nucléaire soit toujours perçue comme étant la plus performante (32 % de citations, mais en baisse de 14 points par rapport à̀ 2017), l’énergie solaire la suit désormais de très près avec 29 % (+11 points par rapport à̀ 2017).

Les Français positionnent l’énergie solaire comme étant la moins chère par kilowatt heure produit, contre 16 % pour le nucléaire (en diminution de 4 points par rapport à̀ 2017) et 15 % pour l’éolien (‐2 points).

À la question « quelle filière faut-il encourager pour la production de chaleur et d’électricité́, faut‐il encourager en France ?», le solaire thermique arrive en tête avec 89 % des citations, suivi de très près par la pompe à chaleur (84 %) et les panneaux photovoltaïques (81 %). Des chiffres largement supérieurs à ceux du gaz naturel (61 %, en baisse depuis 2017 – 8 points), du nucléaire (46 %, avec une tendance à la hausse depuis 2016, +7 points) et des énergies fossiles (aux alentours de 20%).

Ce baromètre s’appuie sur des questions ayant trait à la science, à l’expertise et à la confiance accordée par la population aux scientifiques.

Seuls 10 à 15% des enquêtés font moins confiance à la science alors que 75% lui font autant ou plus confiance. Seuls 20% des Français pensent qu’il vaudrait mieux moins de technologies que plus. Certes cette opinion a tendance à s’accentuer mais très légèrement contrairement au discours technophobe souvent entendu. La proportion de ceux qui pensent que le développement de la science et des technologies génère plus de bénéfices que d’effets néfastes n’a jamais été aussi élevée, 44% (fig.7).

Plusieurs constatations étonnent

Fig.6 Proportion des enquêtés qui pensent qu’il faut tenir davantage compte de l’opinion de la population avant de rendre un avis
Fig.7 proportion des enquêtés qui pensent qu’il faut tenir davantage compte de l’opinion de la population avant de rendre un avis et proportion de ceux qui pensent que le développement de la science et des technologies génère plus de bénéfices que d’effets néfastes.

Par exemple, l’augmentation significative des personnes d’accord avec la proposition « Les experts doivent davantage tenir compte de l’opinion de la population avant de rendre un avis ». Le chiffre de 76 %, qui constitue à la fois un point haut historique et l’accélération d’une tendance observée sur plusieurs années, interpelle et remet en cause la notion d’indépendance de l’expertise scientifique. Matthieu Schuler, directeur de l’ANSES relie cette constatation à d’autres résultats : le recul de l’importance de la compétence scientifique comme qualité́ des experts, la décrue significative de la demande d’accessibilité́ des productions des experts, le caractère secondaire de la déclaration des liens avec les industriels.

La faible disponibilité des enquêtés pour participer à des actions de concertation est également étonnante. La volonté d’engagement personnel recule encore cette année. Questionnés sur leur disponibilité pour « participer à̀ des réunions d’information et de concertation sur les modes de gestion des installations à risque », une majorité́ des Français se déclare défavorable à consacrer du temps à̀ ce type de réunion (52 % de refus) tandis que 39 % seulement s’y déclarent prêts.

Étonnamment, e premier argument cité en faveur de l’énergie nucléaire est, cette année encore, l’indépendance énergétique (36 %). Sont cités ensuite, les arguments liés au coût du kWh (21 %), et, loin derrière, ceux liés à l’absence d’émission de gaz à effet de serre (19 %) et à la sureté́ des installations. 19% seulement des enquêtés reconnaissent les faibles émissions de gaz à effet de serre émis par une centrale nucléaire.

Les élus locaux, le gouvernement et les femmes et hommes politiques sont très majoritairement vus comme des menteurs sur un sujet sur lequel la plupart d’entre eux n’ont jamais rien dit ou écrit.

Conclusion

Pour plusieurs items, les réponses enregistrées pour 2018 semblent se démarquer de celles des années précédentes. Les chiffres de 2019 seront importants pour infirmer ou affirmer cette tendance ce qui justifie l’efficacité de la portée diachronique de cette enquête. Ces variations récentes sont à interpréter avec prudence car le nombre de réponses « Ne sait pas » est beaucoup plus important en 2018 que pour les années passées (10 % contre 3 % entre 2013 et 2017). Est-ce un signe de la complexité grandissante des sciences de l’environnement ?