Lutte contre la pollution atmosphérique dans la Vallée de l’Arve

by in Revue 12 février 2020

Une synthèse proposée par Isabelle Roussel (Présidente d’honneur de l’APPA), Lionel Charles (Membre de l’APPA) et Margot Delattre (Chargée de projets veille & documentation à l’APPA)

La vallée de l’Arve, qui regroupe une quarantaine de communes au sein du massif du Mont-Blanc, est régulièrement confrontée à des épisodes de forte pollution. Elle constitue un des espaces pour lesquels la France est en litige avec les institutions européennes. Trois sources majeures de pollution ont été identifiées, le trafic routier, le secteur résidentiel et l’industrie. Le trafic routier est particulièrement dense : en plus du trafic local, les axes routiers de la Vallée de l’Arve sont soumis à un important trafic poids lourds pour rejoindre l’Italie via le tunnel du Mont-blanc, mais aussi à un flux touristique vers les nombreuses stations de la vallée, aussi bien l’été que l’hiver. Le secteur résidentiel a progressivement permis de comprendre la part qu’occupait le chauffage au bois dans les émissions de particules. Enfin la vallée présente plusieurs sites industriels qui contribuent aussi, quoique de façon moindre, aux émissions.

La topographie de la vallée de l’Arve, encaissée et dominée par des espaces glacés, favorise aussi les inversions de température, les lacs d’air froid et les brouillards et donc la concentration des polluants en fond de vallée. On observe ainsi fréquemment des épisodes de forte pollution aux PM10, aux oxydes d’azote, au benzo(a)pyrène ou encore à l’ozone. Afin de faire face à la situation, un premier Plan de Protection de l’Atmosphère (PPA) a été adopté dès 2012. Dans ce cadre, plusieurs actions et projets ont été mis en place, en particulier la création d’un fond Air-Bois, proposant un soutien financier aux propriétaires d’appareils de chauffage au bois pour acheter des équipements plus performants et moins émetteurs de particules.

Parallèlement à ces initiatives, et faisant suite à une première investigation sur la pollution dans les vallées alpines (POVA) menée en 2005, un programme de recherche sur quatre ans a été mis en place en 2013 pour analyser plus en détail les mécanismes en cause dans les épisodes de pollution de la vallée et suivre l’impact de l’opération Air-Bois (projet DECOMBIO), mais aussi suivre, à travers un travail sociologique, intitulé ARVE-PRE2A à la fois la perception par les habitants des phénomènes de pollution et leur appréhension des initiatives en matière de chauffage au bois et de changement d’équipement. La mauvaise qualité de l’air dans la vallée et le manque de résultats des initiatives publiques ont généré des réactions parfois exacerbées d’une part de la population.

Les projets ARVE-PRE2A ET DECOMBIO

Le chauffage au bois participe à la transition vers des énergies renouvelables moins émettrices de gaz à effet de serre. Il représente néanmoins une source notable de particules fines, et ce notamment dans les régions où la combustion de biomasse est largement pratiquée. Le Plan de Protection de l’Atmosphère de la Vallée de l’Arve a ainsi désigné le chauffage comme étant la principale source d’hydrocarbures aromatiques polycycliques et de particules dans la Vallée de l’Arve. Dans ce cadre, réduire les émissions issues du chauffage a été établi comme étant une priorité.

Le projet ARVE-PRE2A

Dans le cadre du projet ARVE-PRE2A, une étude qualitative en deux phases a été réalisée. La première phase de l’étude a eu lieu en décembre 2014, et la seconde en décembre 2016. Ce projet a permis plusieurs constats. Tout d’abord, la perception de la qualité de l’air par les habitants de la Vallée de l’Arve s’est considérablement dégradée entre la première et la seconde phase de l’étude. De plus, à l’issue de la seconde phase, les habitants de la vallée de l’Arve se sentaient aussi significativement plus concernés par la qualité de l’air. La seconde phase a également témoigné d’une prise de conscience par les enquêtés du rôle de la combustion de la biomasse dans la pollution de l’air. De fait, les enquêtés pratiquant le brûlage de déchets verts sont progressivement devenus très marginaux entre décembre 2014 et décembre 2016.

En même temps, le projet ARVE-PRE2A a montré qu’il existait une réticence au changement d’équipement de combustion. Cette réticence s’explique par un scepticisme ou une indécision vis-à-vis des avantages des équipements modernes ainsi que de l’impact du chauffage sur la pollution, mais aussi par une défiance à l’égard des pouvoirs publics. Cette défiance est très majoritairement due à un sentiment de différence de traitement entre les particuliers et les lobbies routiers et industriels. Le troisième enseignement tiré du projet ARVE-PRE2A est que les professionnels soutiennent fortement l’évolution des pratiques et équipements en matière de combustion de biomasse. Ils représentent ainsi des alliés pour favoriser la réduction de la pollution atmosphérique liée au chauffage.

Le projet a aussi montré la nécessité d’adapter la communication sur les enjeux liés à la qualité de l’air. Le discours des pouvoirs publics est en effet brouillé par celui des associations locales et des médias nationaux et locaux. Les enjeux liés à la qualité de l’air restent très méconnus, et les enquêtés se sentent pour la plupart mal informés. Globalement, les bonnes pratiques en matière de chauffage sont connues, mais non appliquées dans l’optique de préserver la qualité de l’air.  Le Fonds Air-Bois, qui visait au renouvellement de 3 200 appareils de chauffage non performants dans la Vallée de l’Arve, reste de son côté assez méconnu. Bien que le pourcentage d’enquêtés en ayant connaissance ait augmenté, il reste minoritaire à l’issue de la seconde phase.

Le projet DECOMBIO

Le projet DECOMBIO, quant à lui, visait à évaluer les bénéfices du projet pilote « Fonds Air-Bois » en termes de réduction de la pollution atmosphérique liée à la combustion de biomasse. Il a d’abord permis de faire un état des lieux de la pollution liée à la combustion de biomasse avant la mise en place du Fonds Air-Bois. Les mesures réalisées dans le cadre du projet ont montré que la combustion de biomasse était à l’origine de 60 à 77% des concentrations hivernales en PM10, contre 13 à 41% en dehors des vallées alpines. Le projet a donc confirmé la part importante du chauffage dans la pollution de la vallée de l’Arve.

Il a également permis de mettre en évidence le rôle des phénomènes météorologiques très locaux dans ces vallées avec notamment les inversions thermiques hivernales qui influencent fortement les concentrations de PM10 et sont difficiles à modéliser. Elles peuvent ainsi facilement induire la confusion lors de l’évaluation des actions de réduction des émissions. Ainsi, elles doivent être prises en compte en tant que facteur d’influence. Finalement, le projet DECOMBIO a montré que le Fonds Air-Bois avait permis une diminution progressive des concentrations de PM10 au fil des hivers successifs. Cependant, pour certaines conditions météorologiques, il n’a pas été possible de conclure que la baisse des concentrations était bien due au renouvellement des appareils de chauffage. Pour confirmer les bénéfices du Fond Air-Bois, il faudrait prolonger l’étude DECOMBIO.

  Le projet Communi’c’Air

Avec le projet Communic’Air, les élus de la Communauté de Communes du Pays du Mont Blanc (CCPMB) avaient pour objectif de faire évoluer la perception des habitants sur les enjeux de la qualité de l’air et sur le plan d’actions déployé par la collectivité. Plusieurs outils ont été conçus dans le cadre du projet : un site Internet, une web-conférence mais aussi des outils d’animation et d’éducation à l’environnement. Ce projet est né de ce que durant l’hiver 2016-2017, la CCPMB a connu un fort dépassement des seuils réglementaires de concentrations en particules fines dans l’air qui a entrainé une véritable crise sociale : une partie des citoyens a perdu confiance en les institutions, ce qui a compliqué la mise en œuvre d’actions concrètes pour la qualité de l’air.

Avec le projet Communic’Air, la CCPMB a pu mieux préparer l’hiver 2017-2018, en évitant qu’une situation semblable à celle de l’hiver 2016-2017 ne se reproduise. Le projet a permis un regain de confiance de la population, qui s’est remobilisée en faveur des actions pour la qualité de l’air dans la CCPMB. L’action pour la qualité de l’air s’est poursuivie après la fin du projet, avec entre autres l’organisation régulière de journées d’informations et d’animations sur la thématique de la qualité de l’air.

Aspects sanitaires et évolutions récentes

Les études épidémiologiques réclamées par les habitants pour objectiver les risques sanitaires encourus sont très difficiles à mettre en œuvre compte tenu de la variabilité spatio-temporelle des concentrations liées à la mosaïque des conditions topoclimatiques montagnardes et au faible nombre des populations exposées. Un diagnostic local de santé réalisé par l’ORS Rhône-Alpes en 2015 a montré des variations importantes de la condition sanitaire des populations de la vallée liées aux caractéristiques socio-économiques des populations et souligné une situation environnementale préoccupante concernant divers polluants (solvants, métaux lourds, NO2  et particules) sans possibilité d’établir un lien direct entre environnement et indicateurs de santé, mais en relevant cependant une concentration de facteurs défavorables sur certaines communes comme Cluses et Bonneville.

En 2017, Santé publique France a rendu publics les résultats d’une évaluation quantitative d’impact sanitaire (EQIS) réalisée sur la vallée de l’Arve à la demande de l’ARS, mettant en évidence que l’exposition chronique aux particules fines représenterait 8% de la mortalité et indiquant qu’une baisse de 30% des concentrations de PM2,5 permettrait une réduction de la mortalité d’au moins 4%, soit au moins 45 décès évités par an.

Le premier plan de l’atmosphère mis en place en 2012 a fait l’objet d’une évaluation en 2017, cinq ans après sa mise en œuvre, point de départ de l’élaboration d’un nouveau PPA finalisé au printemps 2019 pour la période 2019-2023 reprenant en particulier les objectifs présentés par l’EQIS de Santé publique France (baisse de 30 % des PM10 et PM2,5). Ce plan, soumis à avis de l’Autorité environnementale à l’été 2018, comporte au final trente actions, réunies en douze défis, prolongeant et amplifiant les initiatives antérieures, élargissant et précisant les champs de l’action.

Par ailleurs a été entrepris sur la CCPMB en 2018, dans le cadre d’un projet Interreg associant Suisse, Italie et France et intitulé BB-Clean, un projet de mesures par microcapteurs accompagné d’un travail sociologique visant la sensibilisation des populations à la pollution dont les résultats devraient être connus en 2021.


Pour en savoir plus :

– Etude POVA :  https://www.primequal.fr/sites/default/files/e44e6e9e57417781.pdf

– Synthèse du colloque de restitution des actions menées dans la Vallée de l’Arve sur <https://www.primequal.fr/sites/default/files/synthese.pdf>.


– Rapport de l’Ademe sur le projet Communic’Air https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/rapport-communication-qualite-air-pays-mont-blanc-2018.pdf.

– Roussel I., 2016 : Dans la vallée de l’Arve, une approche innovante de la gestion de la pollution atmosphérique. [En ligne]. Pollution Atmosphérique, n°231-232. Disponible sur : < http://lodel.irevues.inist.fr/pollution-atmospherique/index.php?id=5951>.

– Chevrier F., Jezek I., Brulfert G. et al., 2016 : DECOMBIO – Contribution de la combustion de la biomasse aux PM10 en vallée de l’Arve : mise en place et qualification d’un dispositif de suivi. [En ligne]. Pollution Atmosphérique, n°231-232. Disponible sur : < http://lodel.irevues.inist.fr/pollution-atmospherique/index.php?id=5952>. – Site Intereg Alpine Space BB-clean :  https://www.alpine-space.eu/projects/bb-clean/en/home