Publication du premier volume du sixième rapport du GIEC

by in Actualité 27 août 2021

Le Groupe d’experts international sur l’évolution du climat (GIEC) a rendu public le 9 août le premier volume de son sixième rapport, fruit du groupe de travail 1, consacré aux bases physiques du changement climatique. La livraison finale du rapport (incluant les volumes 2 et 3 des groupes de travail 2 (Incidence, adaptation et vulnérabilité) et 3 (Atténuation) ainsi que la synthèse) est attendue en 2022. Ce premier  travail, rédigé par 234 scientifiques de 66 pays, est une méta-analyse compilant plus de 14 000 études scientifiques sur les causes et les conséquences du réchauffement climatique. A quelques semaines de la tenue de la COP26 à Glasgow, l’état des lieux dressé par le rapport couvre toute la littérature scientifique acceptée pour publication au 31 janvier 2021 en proposant des pistes pour le futur.

Des indicateurs sans précédents

Si ce rapport offre la confirmation de l’origine anthropique du réchauffement actuel et de la part prépondérante qu’y a le dioxyde de carbone, il marque aussi l’affinement des connaissances, dans la suite des trois rapports spéciaux de 2018-2019, en particulier le rapport 1,5° (2018), et une appréhension plus précise de la rapidité et de l’ampleur des évolutions ainsi que des enjeux et des risques liés au réchauffement. Qualifiée d’ « extrêmement probable » dans le précédent rapport (AR5, 2013), l’activité humaine en est désormais considérée comme responsable « sans équivoque » par le GIEC.
Plusieurs indicateurs attestent du niveau inédit de ce réchauffement et de son accélération : les 10 dernières années ont été les plus chaudes jamais observées, chacune des quatre dernières décennies étant plus chaude que la précédente, avec une hausse des températures de 1,1°C en moyenne par rapport à la période 1850-1900, excédant probablement (avec une « confiance moyenne », selon les critères du rapport) les niveaux de l’optimum climatique de l’holocène il y a environ 6.500 ans ou ceux de la précédente période interglaciaire il y a 125.000 ans. Les concentrations atmosphériques  de CO2 n’ont jamais été aussi élevées depuis 2 millions d’années, avec un taux relevé en 2019 de 410 parties par millions (ppm), de même que celles de méthane et de N20 depuis 800.000 ans. Depuis 1750,  les concentrations de CO2 et de méthane ont davantage augmenté et l’accroissement de celles de N20 sont à peu près équivalents à celles intervenues lors des passages des ères glaciaires aux ères interglaciaires au cours des 800.000 dernières années. De même, le recul des glaciers et l’élévation du niveau de la mer ont atteint une ampleur sans précédent depuis respectivement 2000 et 3000 ans, et la superficie moyenne de la banquise sur les années 2011- 2020 a connu son niveau le plus bas depuis 1850.
On observe également la survenue d’une plus grande proportion de cyclones de forte intensité. Le changement climatique affecte déjà de nombreux extrêmes météorologiques et climatiques dans toutes les parties du globe. La preuve des changements observés de phénomènes extrêmes, vagues de chaleur, fortes précipitations, sécheresses, cyclones tropicaux et leur attribution à l’influence humaine ont été renforcées depuis le cinquième rapport, de même que celles de l’accroissement des précipitations des moussons depuis les années 1980. Le forçage radiatif additionnel lié aux activités humaines a augmenté de 0,45 W/m2 (19%) depuis le cinquième rapport, avec une estimation de la sensibilité climatique à l’équilibre de 3° (dans un intervalle de 2,5° à 4°).

Scénarios et projections affinés

Concernant le futur du climat, le rapport a établi un nouvel ensemble de scénarios, à partir de cinq trajectoires socio-économiques partagées (shared socio-economic pathways, SSP), correspondant à des niveaux d’émissions et des forçages radiatifs très différents : élevés et très élevés pour les SSP3-7.0 (ce dernier chiffre désignant le forçage radiatif additionnel en 2100) et SSP5-8.5 ; moyen pour le SSP2-4.5 ; et enfin faibles et très faibles pour les SSP1-2.6 et SSP1-1.9. L’amélioration de la qualité des modèles a permis une meilleure représentation des processus physiques, chimiques et biologiques à l’œuvre et une résolution plus fine que celles dont avaient bénéficié les précédents rapports, permettant des projections plus précises des futurs possibles du climat aux trois périodes envisagées, court terme (2021-2040), moyen terme (2041-2060) et long terme (2081-2100).  Les variations des émissions dans les différents scénarios associent différentes hypothèses socio-économiques, les niveaux des mesures d’atténuation, et, en ce qui concerne les aérosols et les précurseurs non méthaniques de l’ozone, des mesures de contrôle de la pollution de l’air. Seul le scénario SSP1-1.9 offre une probabilité d’éviter de dépasser le seuil de réchauffement de 1,5°C sur la période 2021-2040 par rapport à la période 1850-1900 et de permettre vers la fin du siècle, une diminution des températures en dessous de ce seuil, avec un dépassement temporaire de l’ordre de 0,1° sur la période intermédiaire. Un tel scénario suppose une baisse rapide et importante des émissions de CO2, ramenées à net zéro aux environs de 2050.
De nombreuses modifications du système climatique seront amplifiées par l’accroissement du réchauffement global, avec des ordres de grandeur variables mais parfois très élevés selon les phénomènes, les scénarios et les échelles de temps : accroissement de l’intensité et de la fréquence des pics de chaleur, vagues de chaleur marines, fortes précipitations, sécheresses affectant l’agriculture et les écosystèmes dans certaines régions, intensité des cyclones tropicaux, réduction de la banquise arctique, du couvert neigeux et du pergélisol. De façon quasi certaine, le réchauffement affectera davantage les zones continentales que les océans, de même que les zones arctiques, où il devrait être deux fois supérieur au réchauffement global.  A titre d’exemple, chaque hausse additionnelle de 0,5° au réchauffement se traduira par l’amplification de phénomènes entrainant la survenue croissante d’événements extrêmes jamais enregistrés auparavant, même au niveau d’1,5° de réchauffement. Le réchauffement se traduira également par une intensification du cycle de l’eau et de sa variabilité, des précipitations de la mousson globale et de la sévérité d’événements humides et secs, avec leurs conséquences en termes d’inondations et de sécheresse. Les précipitations devraient s’accroître dans les hautes latitudes, le Pacifique équatorial et une part des régions de mousson mais décroître sur une part des régions subtropicales et sur des zones limitées des tropiques. Par ailleurs, les puits de carbone océanique et continentaux devraient perdre de leur efficacité à ralentir l’accumulation de CO2 dans l’atmosphère. De nombreux changements liés aux émissions passées et futures de gaz à effet de serre sont irréversibles à l’échelle de siècles voire de millénaires, notamment en ce qui concerne l’océan, les calottes glaciaires et le niveau global de la mer. Ceux-ci affecteront en particulier la température de l’océan, sa désoxygénation et l’acidification de l’océan profond, la fonte des glaciers de montagnes et polaires, le niveau de la mer dont la hausse devrait se poursuivre au-delà de 2100 à des niveaux potentiellement élevés, cependant difficiles à prévoir compte tenu des incertitudes concernant la fonte des glaciers, mais aussi à plus long terme sur des millénaires.  

Le rapport apporte également un certain nombre d’indications en matière d’évaluation de risque et d’adaptation régionale. Il souligne que la variabilité interne et les dynamiques naturelles (volcanisme) moduleront les modifications d’origine anthropique tout en ayant peu d’effet sur le réchauffement global à l’échelle centennale. Ces modulations sont importantes à prendre en considération en matière de planification quant à l’étendue des changements potentiels. Le rapport souligne également qu’avec l’avancée du changement climatique, chaque région sera amenée à éprouver des changements multiples et simultanés des moteurs du changement climatique (CID, climate impact-drivers). Ces changements seront plus répandus avec un réchauffement à 2° qu’à 1,5°, et davantage encore avec une hausse plus importante des températures. Enfin il n’exclut pas la possibilité d’événements à faible probabilité, tel l’effondrement des calottes glaciaires, un changement abrupt de la circulation océanique, une combinaison d’événements extrêmes ou un réchauffement plus important que celui envisagé, voire des points de bascule (tipping points) à des niveaux élevés de réchauffement, comme part de l’évaluation des risques.

Des marges de manœuvre subsistent pour le court terme

Pour limiter le réchauffement climatique anthropogénique, le rapport recommande une réduction à net zéro des émissions de CO2, ainsi qu’une forte réduction des émissions des autres GES. Une réduction rapide, forte et soutenue des émissions de méthane limiterait également le réchauffement lié à la réduction de la pollution par les aérosols et améliorerait la qualité de l’air en réduisant la formation d’ozone troposphérique. En effet, dans tous les scénarios, les changements simultanés des émissions de méthane, d’aérosol  et de précurseurs de l’ozone, qui contribuent aussi à la pollution de l’air, entrainent un réchauffement à court et à long terme. Réaffirmant le résultat du cinquième rapport indiquant qu’il existe une relation linéaire entre l’accumulation des émissions de CO2 anthropogénique et le réchauffement dont elles sont à l’origine, il estime que chaque millier de gigatonne de CO2 émis est susceptible d’entraîner un réchauffement de 0,45°C, rétrécissant la fourchette proposée dans les rapports AR5 et 1,5°. Cela implique que le net zéro est nécessaire pour stabiliser l’accroissement des températures à quelque niveau que ce soit, mais que limiter la température à un niveau donné permet de disposer d’un certain budget carbone pour contenir les émissions de CO2 à ce niveau. A partir de l’estimation de ce que les émissions cumulées de CO2 depuis 1850 sont d’environ 2390 Gt, le rapport propose un ensemble de valeurs et leur probabilité pour contenir la hausse du réchauffement en dessous de certains seuils. L’estimation pour contenir le réchauffement en dessous de 1,5° avec une probabilité de 50 % établit ce budget à 500 Gt de CO2 et à 400 Gt pour une probabilité de 67 %, sachant que le niveau actuel des émissions est de l’ordre de 40 Gt de CO2 par an.
Le rapport examine la question du retrait de CO2 de l’atmosphère et ses implications. Il souligne que les scénarios avec faibles ou très faibles émissions seraient susceptibles de conduire en quelques années à des effets discernables  sur les concentrations de GES, d’aérosols et la qualité de l’air en comparaison avec les scénarios à fortes émissions. Avec ces scénarios, des différences identifiables de tendances concernant les températures commenceraient à émerger de la variabilité naturelle en une vingtaine d’années environ et sur une période plus longue pour les autres moteurs du climat. Ces chiffres font ressortir l’ampleur du défi collectif que constitue le réchauffement du climat dont la prochaine étape sera la COP 26 à Glasgow et les engagements qu’y négocieront les Etats, mais où chacun a aussi son rôle à jouer.

Le rapport du GIEC est accessible à cette adresse : https://www.ipcc.ch/srccl/

Le résumé aux décideurs : https://www.ipcc.ch/srccl/chapter/summary-for-policymakers/

Le communiqué de presse en français : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2021/08/IPCC_WGI-AR6-Press-Release_fr.pdf